Bref !

Laïcité j’écris ton nom (suite, 8). Pour une prohibition internationale du délit de blasphème (en soutien à Asia Bibi)

Après les versets sataniques de Salmam Rushdie, les caricatures du prophète dans Charlie Hebdo, c’est maintenant le fait de boire un verre d’eau au puit réservé aux musulmanes qui vaut à Asia Bibi une condamnation à mort par les islamistes pour blasphème. Certes, elle a été innocentée par la Cour suprême du Pakistan, mais les islamistes ont obtenu que le jugement puisse être révisé et qu’elle ne quitte pas le territoire pakistanais, et sa vie, celle de ses proches, de son avocat, des juges est aujourd’hui en danger. Un appel vient d’être lancé par quarante personnalités pour la sauver, appel qu’évidemment je soutiens.

Condamnée à mort pour blasphème, ce crime imaginaire, comme le fut, en 1766 pour la dernière fois en France, le chevalier de la Barre, qui inspira à Voltaire un de ses combats pour la tolérance, et pour la lutte contre la torture. Crime ou délit, l’infraction de blasphème a disparu en France avec les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et malgré une tentative de la Restauration de rétablir un délit de sacrilège, a définitivement disparu avec la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Ces articles ont inspiré les articles 18 et 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites », normalement l’article 18 interdit le crime ou le délit de blasphème, ainsi d’ailleurs que celui d’apostasie, pourtant souvent intégré dans les législations qui se veulent issues de la charia. « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontière, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit », la liberté d’opinion, comme d’expression de ces opinions, est également garantie par l’article 19, bien sûr dans la limite de la diffamation de l’injure et du respect de l’ordre public.

Normalement, le délit de blasphème est prohibé par cette base essentielle du droit international qu’est la Déclaration universelle. Cela n’a pas empêché l’Organisation de la coopération islamique (OCI), seule organisation confessionnelle dont les membres soient des Etats (57 au total) de mener depuis vingt ans une bataille au sein du conseil des droits de l’homme (1) pour que le blasphème soit reconnu parmi les crimes et délits reconnus par le droit international. Pour l’instant sans succès (2).

Je crois qu’il faut aller plus loin que de résister à cette offensive. La laïcité reste une idée neuve dans le monde et je ne crois pas, contrairement à une idée reçue, qu’elle soit une spécificité française : face au risque de retour des totalitarismes religieux, il faut, comme nous avons su le faire pour les droits de l’homme en 1948, lui donner une dimension internationale, comme garantie à la fois de la liberté de religion et d’opinion et de la non ingérence des Etats dans les affaires religieuses. Et commencer par demander à ce titre un protocole additionnel au pacte international des droits civils et politiques, prohibant explicitement le crime ou délit de blasphème, comme contraire aux droits de l’homme.

Paris, le 7 novembre 2018.

 

(1) Instance de l’assemblée générale, à ne pas confondre avec le comité des droits de l’homme, composé d’experts indépendants, qui surveille la mise en œuvre du pacte international des droits civils et politiques de 1966, dont le Pakistan est signataire, mais pas l’Arabie Saoudite, et qui vient de condamner le France pour discrimination religieuse avec l’interdiction du voile intégral.

(2) Encore que …. (cf. ci dessous l’addendum 2)

 

Addendum 1

Depuis que j’ai écrit ce papier, Asia Bibi a été libérée, mais n’a toujours pas quitté le Pakistan et est donc toujours en danger. Son avocat, lui, de confession musulmane s’est réfugié aux Pays Bas.

Addendum 2

Au moment où j’ai écrit ce papier, je n’avais pas connaissance de l’arrêt du 25 octobre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) validant le jugement des tribunaux autrichien condamnant une conférencière pour avoir assimilé le mariage du prophète Mohamed avec une fille de six ans à de la « pédophilie », et qui n’avait été commenté  que par le Figaro et considéré par Gregor Puppink comme légalisant le blasphème. Même si cette interprétation a été contestée, il n’en reste pas moins que ce jugement surprenant de la CEDH, qui fait d’ailleurs l’objet d’un appel auprès d’elle, me semble faire l’objet d’un glissement inquiétant, si il est confirmé, de sa jurisprudence.

Addendum 3

L’offensive de l’OCI a commencé en 1990 avec l’adoption par les 57 Etats membres au Caire, de la déclaration islamique des droits de l’homme. Extraits

« Tous les hommes sont égaux dans la dignité humaine (…). La vraie foi garantit l’accroissement de cette dignité sur le chemin de la perfection humaine. » (article 1)

« Tous les êtres humains sont les sujets de Dieu, et ceux qu’Il aime le plus sont ceux qui sont les plus utiles à Ses sujets. » (article 1) (cet article fait de la divinité une personnalité juridique, base du crime ou délit de blasphème).

« L’Islam est la religion naturelle de l’homme. Il n’est pas permis de soumettre ce dernier à une quelconque forme de pression ou de profiter de sa pauvreté ou de son ignorance pour le convertir à une autre religion ou à l’athéisme. » (article 10) (cet article vise à interdire l’apostasie)

« Tout individu a le droit d’exprimer librement son opinion d’une manière non contraire aux principes de la Loi islamique. » (article 22)

Paris, le 10 novembre 2018

Addendum 4 :

Le blasphème est prévu dans les « lois » religieuses :

  • Pour les catholiques, dans le code du droit canonique : « Qui, dans un spectacle ou une assemblée publique, ou dans un écrit répandu dans le public, ou en utilisant d’autres moyens de communication sociale, profère un blasphème ou blesse gravement les bonnes mœurs, ou bien dit des injures ou excite à la haine ou au mépris contre la religion ou l’Église, sera puni d’une juste peine. »
  • Pour les musulmans, dans la charia, qui n’est pas un code, mais fonctionne comme un « droit jurisprudentiel » fondé sur les fatwas : historiquement même si le blasphème est condamné par le Coran ( « Oui, ceux qui offensent (ou parlent méchamment) Allah et son messager, Allah les a maudits en ce monde et dans l’au-delà et il leur a préparé une punition dégradante » -Sourate 33, verset 57-); c’est d’abord l’apostasie qui est condamnée (par l’exécution), mais le blasphème a fait l’objet de fatwas de plus en plus fréquentes.

Un commentaire

  • Vous écrivez:  » il n’en reste pas moins que ce jugement surprenant de la CEDH, QUI FAIT D’AILLEURS L’OBJET D’UN APPEL AUPRÈS D’ELLE, me semble faire l’objet d’un glissement inquiétant, si il est confirmé, de sa jurisprudence.
    Pouvez vous me renseigner : Qui a fait appel? Je me bats contre ce jugement incroyable de la CEDH etvoudrais unir mes forces à celles de ceux qui se battent aussi

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