La réforme des pensions alimentaires impulsées par Najat-Vallaud Belkacem, et poursuivie par Laurence Rossignol a été une grande réforme. C’est un de mes motifs de fierté d’avoir participé à sa conception et de l’avoir mise en œuvre. La Cnaf n’a pas produit de bilan récent sur cette réforme qui est hélas un peu massée inaperçue, mais les quelques résultats connus sont très encourageants, au regard des objectifs de la réforme :
- 31 000 familles ont pu bénéficier en 2018 de l’allocation de soutien familiale (ASF) différentielle et donc d’une pension alimentaire minimale fixée au 1er avril 2018 à 115,30 €, contre 22 000 en 2017 et 12 000 en 2016 ;
- la création de l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa) a permis de faire passer le taux de recouvrement des pensions non versées de 56 % en 2016 (44 % en 2015) à 63 % en 2018 même si bien sûr il devra être encore amélioré ;
- depuis le 1er juilet 2018, les Caf ont la possibilité valider un accord amiable sur la pension alimentaire à l’issue d’une médiation, dès lors que le montant respecte un barème minimum de façon à éviter tout risque de fixation de pensions alimentaires trop faibles ;
- 97 Caf (sur 101) proposent aujourd’hui des sessions « être parent après la séparation », qui permettent de préparer les membres du couple qui se séparent à continuer à exercer la coparentalité dans le nouveau contexte.
Pour autant cette réforme n’est pas totalement achevée, sur au moins deux points :
- une expérimentation est en cours pour évaluer l’intérêt de rendre obligatoire la médiation préalable à la séparation (c’est la tentative de médiation familiale obligatoire -TMFPO, inscrite dans la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice au 21éme siècle) ;
- malgré les efforts de la Cnaf et du ministère des affaires étrangères pour en améliorer l’efficacité, le recouvrement des pensions à l’étranger reste un problème mal résolu.
Le mouvement des « gilets jaunes » a illustré les difficultés auxquelles ont à faire face les « familles monoparentales » (plus clairement, dans l’immense majorité des cas, les femmes seules avec enfants), situation qui est, dans la France d’aujourd’hui, un des principaux facteurs de pauvreté. L’amélioration du dispositif de paiement des pensions alimentaires, et c’était un des objectifs de cette réforme, peut être un moyen puissant de lutter contre ces difficultés. De ce point de vue, la réforme pourrait être renforcée sur trois aspects.
1. L’augmentation de la pension alimentaire minimale.
L’un des objectif de la réforme était de faire en sorte que tout parent qui a la garde des enfants bénéficie d’une pension alimentaire, et que tout parent qui n’a pas la garde des enfants paye une pension alimentaire en fonction de ses ressources et même quand ses ressources sont faibles, la collectivité, c’est à dire la Sécurité sociale, venant compléter ce montant à hauteur d’un minimum (fixé au moment de la réforme à 104,75 €). Auparavant, l’allocation de soutien familiale (ASF), d’un montant bien inférieur (la moitié environ) n’était payé que si il n’y avait pas de pension alimentaire, ce qui conduisait nombre de juges à fixer un montant de pension à 0, pour éviter que la pension versée ne soit inférieure à cette ASF, non recouvrable dans ce cas.
Ce dispositif est une façon dynamique, et pour tout dire moderne, de combiner responsabilité et solidarité : la solidarité ne remettant pas en cause le fait que chacun reste responsable à hauteur de ses moyens. La part portée par la solidarité pourrait être accrue sans un coût excessif pour les finances publiques, pour porter le montant de la pension alimentaire minimale au montant médian (150 €), ou moyen (170 €), voir le doubler (pour le porter à 200 €), ce qui permettrait d’augmenter le revenu des familles monoparentales les plus pauvres d’une centaine d’€ par enfant, mesure plus ciblée encore que l’augmentation de la prime d’activité et constitue un moyen efficace de lutter contre la pauvreté des enfants.
2. Rendre automatique le recours à l’Agence
La principale limite de la réforme de 2016 résulte du fait qu’une très grande partie des bénéficiaires potentiels ne recourent pas à l’Aripa : le nombre de procédure en cours concerne 37 000 familles, soit à peine plus de 10 % des pensions alimentaires non versées. Aux causes habituelles de non recours au droit (manque d’information, mauvaise connaissance du dispositif, complexité administrative,… ) s’ajoutent des difficultés particulières liées à la situation de séparation qui font hésiter la créancière (qui peut être aussi un créancier, mais qui est dans 93 % des cas une créancière) à mettre en cause l’ex-conjoint, débiteur (qui peut être, mais beaucoup moins souvent, une débitrice). Une solution existe : que la pension soit automatiquement payée à l’Agence, qui la reverse immédiatement à la créancière.
Il suffirait pour que le recours à l’Agence soit automatique d’organiser un circuit de paiement de la pension qui passe systématiquement par elle, la pension lui étant payée par le débiteur et reversée immédiatement à la créancière. En cas de retard ou de défaut de paiement, l’Agence verse sans tarder la pension minimale, et se retourne immédiatement vers le créancier pour en récupérer le montant ainsi que le reste de la pension. Il suffit, pour organiser un tel circuit de paiement que le montant de la pension soit notifié à l’Agence dès qu’il est fixé, par accord issu de médiation ou par le juge, accompagné des coordonnées bancaires des deux parents. Évidemment cela mettra fin aux arrangements informels qui peuvent exister entre les parents, mais il s’agit, après tout, de préserver les intérêts de l’enfant, et non ceux des parents. Au passage un tel dispositif rendra totalement transparent le paiement des pensions alimentaires qui pourront être intégrées automatiquement dans le système déclaratif, pour les impôts, comme pour le calcul des prestations, ce qui sera à la fois source de simplification pour les usagers et de contrôle (aujourd’hui, le montant des pensions déclarées versées par les débiteurs est sans commune mesure avec le montant déclaré reçu par les créanciers).
Cette solution avait été envisagée mais clairement exclue dans les travaux préparatoires à la création de l’Agence de recouvrement des pensions alimentaires (sauf en cas de débiteur violent, de façon à éviter dans ce cas toute relation directe entre les ex-conjoints et, bien sûr, en cas de mise en place de la procédure de recouvrement, puisque c’est l’Agence qui recouvre auprès du débiteur et reverse à la créancière dans ce cas, ce qui montre que c’est techniquement faisable), au motif que « l’intermédiation (risquait) d’engendrer une perte de lien entre les parents, alors que le développement de la coparentalité, qui fait aujourd’hui l’objet de la part des pouvoirs publics d’efforts importants, est prôné par le juge et la branche famille ». Mais en fait le raisonnement peut s’inverser car le sujet n’est pas la relation entre les deux parents, mais la relation de chacun d’entre eux avec l’enfant, et il ne faut pas au contraire que la relation financière entre les deux parents vienne la polluer. De ce point de vue, le passage par l’Agence peut aussi permettre de rappeler à chacun des deux parents que la pension alimentaire est là pour couvrir une partie des coûts de l’enfant. Cela suppose évidemment que l’effort pour développer la coparentalité soit amplifié.
3. Rendre obligatoire la médiation et la participation aux cessions de coparentalité.
Le droit de se séparer ne doit pas conduire, de la part des parents, à l’abandon de leurs responsabilités parentales. Ni à l’abandon par celui qui n’a pas la garde des enfants, ni d’ailleurs à la mise à l’écart d’un des deux parents par celui, ou le plus souvent celle, qui en a la garde : si le non paiement des pensions alimentaires par trop de pères est un scandale silencieux, la mise à l’écart du père par certaines mères, l’est tout autant.
Les travaux conduits par le HCF ont montré à quel point la médiation était plébiscitée comme mode non violent de résolution des conflits en cas de séparation : c’est la raison pour laquelle l’expérimentation d’une médiation obligatoire a été mise en place et il serait urgent qu’elle puisse être rapidement généralisée, malgré les résistances. Dans ce cadre, les sessions de préparation à la coparentalité (en reprenant cette expression québécoise plus claire que la longue circonlocution qui a été retenue en France) pourrait également être rendue systématique, de façon à ce que l’intérêt de l’enfant l’emporte au sein de l’ancien couple, sur l’intérêt ressenti par chacun des deux parents.
Paris, le 22 février 2019
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