Comment lutter contre le non recours au droit -un des poisons de notre protection sociale- pour le RSA, ou même la prime d’activité ou les allocations logement, et plus généralement les prestations sous condition de ressources. La réponse est simple : il suffit de supprimer le recours, c’est à dire que les prestations soient versées, sans qu’on ait besoin de le demander. Ce qui paraissait un rêve il y a encore quelques années est aujourd’hui à notre portée : c’est, en quelque sorte, le dual du programme qui a été développé pour aboutir au prélèvement à la source.
C’était d’ailleurs ce qu’il y avait derrière le projet de « versement social unique » du programme d’Emmanuel Macron en 2017, et qui a accouché, avec près de trois ans de retard de la contemporanéisation des allocations logements, ainsi que d’un projet de « revenu universel d’activité » qui ne verra probablement pas le jour avant la fin du quinquennat ; avec au passage l’abandon de toute idée d’automaticité (comme d’ailleurs pour le versement des pensions alimentaires).
Pourtant comme pour le pré-remplissage des déclarations d’impôt, le principe en est simple : il suffit que les prestations soient calculées automatiquement, à partir des revenus déclarés par les tiers. On pourrait même, en théorie, faire varier les prestations au mois le mois, ou, a minima, tous les trimestres comme c’est le cas aujourd’hui pour le RSA ou la prime d’activité.
Bien sûr, cela ne prend en compte que les revenus déclarés, et non le travail non déclaré. Mais c’est déjà le cas avec les procédures actuelles et explique d’ailleurs, pour une proportion impossible à mesurer mais probablement faible, une partie du non recours, par crainte que les contrôles effectués sur les prestations reçues ne révèlent une partie des revenus non déclarés, même si cette fraude, car il s’agit bien de fraude, relève aussi de ce que j’ai pu appeler « la fraude de survie ». Il est clair que l’évolution de la protection sociale ne permet plus de tolérer cette évaporation tant du côté des ressources que du côté des prestations, autant de coups de canif dans le consentement à la solidarité, pas plus que, plus globalement, les gestionnaires des finances publiques ne peuvent tolérer la fraude et l’évasion fiscales. Mais il est clair aussi que la suppression de cette « soupape » obligera à ajuster les montants des prestations à la hausse, tant il est vrai que leur montant insuffisant explique en partie ces abus.
Une fois les prestations calculées par les ordinateurs de la Cnaf (ou de la Cnav pour le minimum vieillesse), on peut soit les verser automatiquement, soit demander au bénéficiaire d’en valider les bases de calcul -comme pour les déclarations d’impôts aujourd’hui-, voire lui demander de confirmer qu’il souhaite les toucher. Il est surement raisonnable de prévoir cette phase de validation, ne serait-ce que pour éviter de générer des indus, une fois que les revenus non connus au moment du calcul le seront. En revanche on peut s’interroger sur la nécessité de demander confirmation du versement, dès lors qu’il s’agit d’un droit.
En effet, cela modifie assez fondamentalement, dans le premier cas, comme en grande partie dans le second, la nature des prestations prestations concernées : elles ne sont plus quérables, i.e. qu’il n’est plus nécessaires d’aller les chercher, mais deviennent portables, i.e. que le débiteur des prestations, l’État ou la Sécu, s’organise pour qu’elles soient effectivement versées à tous ceux qui y ont droit.
De la même façon cela supprime toute conditionnalité, notamment, pour ce qui concerne le RSA, la signature d’un contrat d’engagement réciproque : ce type de condition a été introduite au moment de la création du RMI comme contrepartie de l’attribution d’une prestation pour échapper à une pauvreté qui ne résultait pas d’une cause considérée comme involontaire (handicap, vieillesse, etc…). Le fait de supprimer cette condition, et a fortiori celles qui ont pu être introduites par certains départements, comme l’engagement dans une activité bénévole comme voulait le faire le Bas-Rhin, donne à cette prestation le caractère d’un droit et donc d’une dette de la société vis à vis du bénéficiaire. D’aucuns craignent que l’absence de contrat fasse également tomber l’engagement de la société de favoriser l’insertion des bénéficiaires. Il y aurait beaucoup à dire sur le caractère très symbolique mais par là même très formel de cet engagement de la société, mais on peut surtout constater que de toutes façons il est limité par la demande de travail, celui-ci restant le principal facteur d’insertion. Il est clair en revanche qu’il ne faut pas que le caractère automatique de la prestation conduise les pouvoirs publics à se désengager de cet engagement d’insertion.
En faisant des prestations sociales avec le caractère automatique de leur versement le dual de l’impôt sur le revenu, s’accentue aussi une évolution qui fait de plus en plus de ces prestations une forme d’impôt négatif. A ceci prés que l’empilement des prestations et les modes de calcul de l’impôt sur le revenu ne permettent pas d’assurer la continuité socio-fiscale, avec notamment des phénomènes de double taxation, par exemple quand des bénéficiaires de la prime d’activité, qui voient leur revenu d’activité augmenter, la voient à la fois baisser et leur impôt sur le revenu augmenter.
On voit bien qu’il ne s’agit pas d’une réforme purement technique, même si elle est conditionnée par un système technique, mais une refonte, pour ne pas dire une refondation, de l’État-providence. Évolution qui ne sera probablement achevée qu’avec la mise en place d’un socle, qui se substitue aux actuels filets de sécurité, et constitué par un droit, quelle que soit la façon dont on l’appelle, à un revenu de base, qui s’appuie à la fois sur le dispositif social et sur le dispositif fiscal.
Mais c’est aussi une réforme qui s’inscrit dans la révolution numérique et repose sur la dématérialisation des procédures, ce qui permettra de dégager des gains de productivité administrative, et donc de reconvertir une partie des effectifs sur des fonctions d’accompagnement, notamment à l’inclusion numérique qui va devenir, comme le fait d’apprendre à lire et à écrire, une des conditions de l’accès au droit.
Paris, Croulebarbe, le 3 juin 2021
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