Du 10 au 12 septembre se tenait à Lyon l’Université d’été de Démocratie & Spiritualité. Hospitalisé en urgence le 10 après-midi, je n’ai pu faire que l’ouverture et l’animation de la première table-ronde consacrée aux défis du monde contemporain. Heureusement l’Université d’été a pu se poursuivre grâce à l’engagement de l’équipe qui l’avait préparée avec moi. Les échanges devrait se prolonger dans un appel à un sursaut spirituel et démocratique en cours de mise au point, et les débats seront retracés dans des actes qui sont en cours de préparation. En attendant, je reproduis ici mes propos d’ouverture et d’introduction de la première table-ronde consacrée aux défis auxquels nous sommes confrontés.
Un sursaut spirituel et démocratique pour faire face aux défis du monde d’aujourd’hui
J’ai le plaisir d’ouvrir cette 24ème Université d’été de Démocratie & Spiritualité ; la première pour moi et aussi la première depuis 2017, puisqu’en 2019 elle a été remplacée par la célébration du 25ème anniversaire et que l’année dernière nous avons du la reporter pour cause de pandémie.
Université …
On le sait peu, mais le terme « Université » ne renvoie pas ici à l’institution de recherche, d’étude et de formation, symbole de la connaissance, mais aussi de la liberté du savoir par rapport aux puissances étatiques et économiques. Nous pourrions, bien sûr, nous référer à cette définition qui correspond à notre fonction de laboratoire d’idées. Mais on se retrouvera davantage encore dans le sens plus ancien de « communauté, de « compagnie », de « collège », d' »association » ou encore d' »assemblée ». Autrement dit l’Université d’été est un moment particulier de notre vie associative, différents par nature des moments institutionnels que sont les Assemblées générales, les Conseils d’administration ou les bureaux, ou de ces moments de rencontre que sont les conviviales, les groupes de travail ou les séminaires.
Moment de la vie de notre association : c’est pourquoi nous n’avons ouvert notre Université d’été qu’à nos adhérents (à l’exception de nos invités bien sûr, mais qui peuvent évidemment adhérer s’ils le souhaitent). Et c’est l’occasion de rappeler le sens de l’adhésion à D&S, qui rassemble, pour reprendre les termes de la charte, des personnes qui souhaitent disposer d’une « instance commune de réflexion et d’action » pour partager les quatre engagements visés par la Charte et qui sont désormais intégrés dans nos statuts :
1. S’efforcer de vivre de façon authentique et simple, en cohérence avec les exigences de son chemin intérieur. Cela peut être facilité par l’adoption d’une règle de vie personnelle, comportant à la fois travail sur soi, écoute de l’autre et partage avec les plus faibles.
2. Apprendre à connaître et respecter les autres formes d’expériences et de spiritualité que la sienne et faire de ce dialogue un support de son propre cheminement.
3. Participer, sous une forme ou sous une autre, à l’élaboration d’analyses et de propositions sur les sujets qui interrogent la relation entre démocratie et spiritualité.
4. Soutenir ou promouvoir, dans son activité professionnelle ou civique, des actions concrètes reposant sur une inspiration éthique ou spirituelle.
Cela va bien au delà du simple paiement d’une cotisation, qui n’en est que la traduction symbolique, en espèces sonnantes et trébuchantes (traduction au demeurant nécessaire, puisque les cotisation, et les dons -l’occasion de remercier celles et ceux qui grâce à leur dons ont rendu ce rendez vous possible- sont notre seule ressource).
… mais Université d’été
Été, cela me fait inévitablement penser à Camus (et aussi à Vivaldi et à Joe Dassin, mais c’est une autre histoire) et à son retour à Tipasa : « Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible ». C’est le sol invictus de nos séminaires du solstice d’hiver. Invictus c’est aussi « je suis le capitaine de mon âme », ce poème qui a nourri les méditations de Mandela pendant ses années de prisons.
L’été c’est aussi pour Camus, la pensée du midi : « Avec elle, au long des combats, nous referons l’âme de ce temps et une Europe qui, elle, n’exclura rien », dit-il dans L’homme révolté. Tel est aussi notre combat : refaire l’âme de ce temps pour redonner son souffle à ce projet au départ européen qu’est la démocratie. Et tel est bien aussi l’enjeu de notre Université d’été, d’être le midi de notre intelligence collective.
Notre sujet, ce n’est pas la démocratie ; il y a de nombreux endroits où on y réfléchit. Ce n’est pas non plus la spiritualité ; il y a, là aussi, de nombreux cercles qui partagent cette question, même si la plupart sont d’obédiences religieuses, éventuellement inter-religieuses, alors que notre conception de la spiritualité est beaucoup plus large. Non, notre sujet c’est le « et » qui associe l’une et l’autre, le &, l’esperluette ; cette esperluette qui commence comme espoir ou comme espérance, « la foi que j’aime le mieux » selon Péguy.
Science, spiritualité et démocratie : trois ordres de connaissance …
Je voudrais vous dire ce que cela signifie pour moi ; vous m’excuserez ce petit détour. Il y a pour moi, dans le prolongement de Pascal, trois ordres de connaissance. Commençons par le second, celui du savoir, de la raison, de l’objectivation des faits, autrement dit de la science. Son champ s’est considérablement étendu depuis Pascal, mais nous savons désormais que, contrairement à ce qu’imaginaient les scientistes au 19ème siècle, il n’épuisera jamais notre besoin de connaissance. Pour autant la science est omniprésente et influe considérablement, tant sur les débats démocratiques, que sur le sens que l’on peut donner à l’aventure humaine. Il n’est que de voir l’importance de la parole scientifique sur ces questions essentielles que sont le réchauffement climatique, la pandémie ou encore, la mort et la vie.
L’ordre de la spiritualité, que Pascal appelle celui de la charité, est souvent confondu avec la champ du « croire », par opposition à celui du « savoir ». Mais c’est ramener la spiritualité à la foi, et ignorer « la part d’agnosticisme », pour parler comme Mounier, de celle-ci. Y compris d’ailleurs celle de Pascal, comme l’illustre la figure du pari. Plutôt que de parler de foi, je préfère, pour ma part, parler de quête, de quête de sens comme le dit joliment la Charte de D&S. Mais cette quête utilise un langage différent de celui de la raison et de la science -ce qu’Edgar Morin appelle la poésie par opposition à la prose- à commencer par celui du silence et de la méditation. C’est pourquoi nous avons choisi de faire commencer chacune de nos journées par un temps de méditation et chacune de nos séquences par un temps de silence ; un temps de silence matérialisé par le tintement du bol tibétain de Régis.
Les ordres de la science et de la spiritualité s’appuient sur un socle, que Pascal appelle l’ordre des corps -ce à quoi les matérialistes ont tendance à réduire l’humanité- et que je préfère identifier au corps social, dans ces rapports avec celui des individus, ou plutôt avec les personnes. Cet ordre du corps social c’est par là même celui du pouvoir sur les humains, et donc l’espace dans lequel s’est développé la démocratie ; une démocratie qui n’existait pas du temps de Pascal pour qui ces ordres étaient également hiérarchisés, comme l’était la société d’ordre d’Ancien régime.
Ces ordres, et c’est tant mieux, ne sont plus pour nous hiérarchisés, pas plus qu’ils ne sont disjoints, séparés par « une distance infinie ». Mais ce faisant, on risque d’oublier la dimension spirituelle de la connaissance, avec, pour conséquence son retour sous la forme dégradée des fondamentalismes, qui ne touche pas, loin s’en faut, que l’islam.
… pour affronter les défis d’aujourd’hui
Notre ambition, en analysant le défis auxquels nous sommes confrontés, est de tenir ensemble les trois dimensions de la connaissance : la spiritualité, espace de la quête de sens, la science, espace de la raison et de l’objectivation, et la démocratie, espace de l’expression des opinions, opinions qui devraient pouvoir s’appuyer tant – et à l’inverse des dérives machiavéliennes- sur les valeurs qui puisent leurs racines dans la première, que -à l’inverse des adeptes des vérités alternatives- sur les savoir qui résultent de la seconde. Et notre conviction, c’est que la démocratie a besoin d’un sursaut spirituel pour apporter des réponses aux défis inédits, mais qui n’ont jamais été aussi bien documentés, auxquels l’humanité est confrontée.
Notre première journée sera donc consacrée à ces défis. Demain nous aborderons les leviers d’un sursaut spirituel et démocratique. Dimanche, nous essaierons de voir, avec nos partenaires, quelle parole porter pour dire la nécessité et les voies de ce sursaut. Nous avons demandé à Bernard Ginisty, ancien président de D&S et qui a été aussi le patron de Témoignage Chrétien, d’être notre grand témoin et de nous faire, avant la clôture, un retour en miroir sur nos trois jours.
Il y a quatre-vingts ans, ici à Lyon, au milieu d’une des périodes les plus sombres de notre histoire, une poignée de chrétiens lancèrent eux aussi un appel : « France, prend garde de perdre ton âme », dénonçant la remise en cause, par les nazis et leurs épigones collaborationnistes soutenus par l’épiscopat, de l’universalisme, dénonçant les thèses racistes et antisémites, dénonçant la violence érigée en valeur supérieure. La leçon de cette histoire c’est qu’avant le sursaut, il y a la résistance, y compris c’était le cas pour TC, la Résistance spirituelle. La situation peut paraître moins tragique aujourd’hui, et c’est sûrement le cas, mais est-elle pour autant moins dramatique ? ne sommes nous pas, de façon plus insidieuse, en train de « perdre notre âme », y compris à force d’occulter la dimension spirituelle de l’humanité, face aux puissances de l’argent, du marché et de la rivalité mimétique ?
Ces questions, nous avons choisi de les aborder à propos des défis majeurs qui forment autant de « questions » (comme l’ont été la question sociale ou la question agraire au 19ème et au 20ème siècle) qui seront l’objet des ateliers de la première après-midi :
1. La question environnementale (Humanité et nature. Vers un nouvel humanisme)
2. La question sociale et territoriale (Justice sociale et territoriale)
3. La question migratoire (L’hospitalité à l’épreuve de la question migratoire)
4. La question religieuse et la laïcité (La laïcité, une promesse qui rend l’air respirable ?)
5. La question numérique (Pour un numérique au service de la démocratie)
6 Et, bien sûr, la question sanitaire (Quel regard sur la vie et la santé ? )
Nous avons demandé à six grands témoins de nous ouvrir à ces questions, non pour traiter chacune d’entre elle, mais, en leur laissant carte blanche pour un propos liminaire à partir desquels nous pourrons échanger, pour nous aider à sortir de notre zone de confort intellectuel :
- Ma collègue et amie Fadela Amara, fondatrice de « Ni putes, ni soumises » et qui a été aussi secrétaire d’État chargée de la politique de la ville pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy ;
- Philippe Aubert, fondateur de La rage d’exister,
- Et Fanny Bernardon, journaliste santé et chargée de communication pour l’association CoActis Santé, l’un et l’autre sur la suggestion et grâce à Alice Casagrande, qui sera avec nous demain.
- Jean-Joseph Boillot, économiste et auteur de « Utopies made in monde. Le sage et l’économiste », que j’ai connu il y a plus de trente ans quand il animait la revue « L’économie en question » qui a fusionné à l’époque avec « Alternatives économiques »
- Aurore Lalucq, députée européenne, fondatrice et ancienne directrice de l’Institut Veblen, et qui a animé avec Philippe Frémeaux, qui nous a quitté il y a un an, et moi l’Institut pour le développement de l’information économique et sociale (Idies) ;
- et enfin Dominique Potier(1), député, président et fondateur d’Esprit civique, l’un de nos partenaires.
Lyon, le 10 septembre, Paris, le 2 octobre 2021
(1) En fait, hospitalisé en urgence lui aussi, Dominique Potier n’a pu participer à la table ronde. Esprit civique a été représenté lors de la dernière séquence par Antoine Dulin.
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