Le 29 juin, j’ai réuni, avec Jean-Louis-Deroussen, président du CA de la Cnaf, l’ensemble des présidents de conseil d’administration et directeurs de Caf, ainsi que les représentants nationaux des partenaires de la Branche pour lancer le déploiement de notre charte de la laïcité 1. Jean Louis Bianco, président de l’observatoire de la laïcité, a ouvert cette journée, et Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’enfance et des droits des femmes l’a conclue. Je reprends sur ce blogue l’essentiel de mes propos introductifs à cette journée, complétés sur quelques points que je n’avais pas pu développer.
Laïcité j’écris ton nom 2
En 2013, le conseil d’Etat a consacré son rapport annuel au « droit souple »3, traduction de terme anglais « soft law », qui n’est ni un « droit mou» qui ne dirait pas clairement ce qui est interdit et ce qui est autorisé, ni a fortiori un « droit mouvant » dans lequel on s’enfoncerait comme les sables du même nom. Il reconnait dans notre système juridique l’existence d’un droit qui sait s’adapter aux situations, aux contextes et aux évolutions.
C’est cette technique juridique que nous avons voulu utiliser avec la charte de « la laïcité de la branche Famille et de ses partenaires » pour appliquer les principes de la laïcité 4 aux activités de la Branche, non seulement à celles des Caf, mais aussi à l’ensemble des services proposés aux allocataires par les partenaires dans le cadre de la politique d’action sociale de la Branche.
Relève du droit souple, d’abord la charte elle-même qui a permis d’effectuer les trois tests que le conseil D’État invite dans son rapport à effectuer pour vérifier les conditions d’utilisation de ce type de droit.
– Test d’utilité, pour assurer un « accompagnement du droit dur dans sa mise en œuvre (le droit souple peut jouer un rôle de pédagogie, orienter l’action d’échelons déconcentrés tout en leur laissant un pouvoir de décision ou promouvoir au-delà d’un socle de règles obligatoires des objectifs plus exigeants) » voire « la fonction d’alternative pérenne au droit dur (le droit souple est envisagé comme instrument durable de régulation d’un domaine d’activité)».
– Test d’effectivité qui a permis de créer « une dynamique d’adhésion au droit souple par les acteurs concernés, au vu de sa capacité à devenir un standard de référence, de la légitimité de son auteur et de son processus d’élaboration, et des conséquences défavorables liées à sa méconnaissance».
– Test de légitimité car, « lorsque le droit souple intervient en matière de libertés fondamentales, il convient de s’assurer qu’il ne met pas en cause les garanties de ces libertés et présente seulement un caractère auxiliaire ».
Cette charte a ainsi permis d’expliciter la notion de laïcité, sur laquelle pèse beaucoup de confusion, et de le faire en partenariat, avec l’apport de l’expertise d’Olivier Bobineau 5 et en dialogue avec l’observatoire de la laïcité. Ce faisant cette charte a également eu un rôle pédagogique en énonçant en 9 articles les grands principes de la laïcité dont la logique est parfois perdue de vue comme j’ai pu le constater en les rappelant lors de la dernière réunion du CNV, le 22 juin 2016.
Premier principe, celui de la liberté religieuse, affirmée dès la déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789 6 et que la loi de 1905 rappelle dès son article 1 7 en affirmant la liberté de conscience, mais aussi la liberté de culte, c’est-à-dire la possibilité d’expression religieuse dans l’espace public, sous réserve de l’ordre public.
Le deuxième principe est implicite. Il est le résultat de l’histoire et de l’application de la « règle d’or » 8 qui garantit la possibilité de vivre en société pacifiquement. C’est en ce sens que la laïcité est une condition de la paix civile. Liberté religieuse donc, mais qui s’arrête là où commence la liberté de l’autre. Autrement dit l’interdiction pour toute religion (ou conviction) de vouloir imposer son point de vue à l’ensemble de la société.
Au début du XXème siècle il s’agissait de mettre fin à la tentation de l’église catholique, ou du moins les institutions qui la représentent, de maintenir son « impérium » sur la société française. Ce qu’elle a fini par accepter, et officialiser, près de 60 ans après, à l’occasion du Concile Vatican 2. Aujourd’hui l’affirmation de la laïcité est un rappel identique vis à vis d’une partie des musulmans de France qui voudraient imposer leur loi religieuse à leurs compatriotes ; de façon violente, s’agissant des djihadistes, mais aussi de façon pacifique, s’agissant de la plupart de salafistes, quiétistes, mais ce qui n’en est pas moins pour autant contraire a ce principe central de la laïcité.
Mais cette tentation totalitaire guette toutes les religions et toutes les convictions et ce principe doit être rappelé régulièrement à tous les courants de pensée : aucune loi, autre que les lois de la République, ne peut vouloir s’imposer à la société et remettre en cause la liberté de conscience qui est un des droits humains fondamentaux. Et l’athéisme D’État, avec lequel la laïcité a été parfois confondue, est aussi condamnable de ce point de vue que les dérives totalitaires de toutes les autres religions (et pas seulement catholique et musulmane). La laïcité n’est pas une opinion, c’est un régime juridique qui permet à toutes les opinions de cohabiter en conciliant les trois valeurs de la devise républicaine 9 . La liberté, de conscience, l’égalité, de toutes les convictions et la paix civile qui garantit la fraternité.
De là découle le troisième principe de la laïcité avec lequel elle est souvent confondue : pour qu’aucune religion ou conviction ne puisse bénéficier de son appui pour s’imposer aux autres, l’absolue neutralité de la République ; la République et pas seulement L’État et c’est pourquoi ce principe s’applique à cette grande institution républicaine qu’est la Sécurité sociale 10, comme d’ailleurs aux services publics en général. Et qui s’applique donc à tous les collaborateurs du service public et donc à nous-même et à nos collaborateurs ; et je vous ai demandé d’être intransigeant sur l’application de ce principe dans les caisses mais en revanche, en vertu du premier principe, aux usagers, allocataires, du service public.
Trois principes clairs et que rappellent notre charte mais dont l’application dans les situations concrètes ne va pas de soi : à partir de quand voit-on qu’une religion cherche à s’imposer aux autres ? C’est la question difficile du prosélytisme qui a été tranchée par le CA lors de l’adoption de la charte 11. Sur quel critère détermine-t-on que telle pratique vestimentaire, ou alimentaire constitue un signe religieux, alors qu’elle peut aussi avoir d’autres origines ou d’autres significations (coutume, revendication identitaire) ? De façon générale, quelles limites peut-on mettre à la liberté religieuse au nom d’une laïcité qui est d’abord là pour la garantir.
C’est là que vont intervenir les techniques du droit souple pour décliner la charte par territoires, par activités et dans nos relations avec nos partenaires.
Par territoire c’est la déclinaison départementale de la charte de la laïcité qui permettra, avec les partenaires, mais aussi les autorités publiques, de tenir compte des contextes et situations locales (par exemple outre-mer ou dans les départements concordataires, pour ne prendre que deux exemples caractéristiques). Cette déclinaison territoriale permettra également de faire dans chaque département le travail, effectué au niveau national, d’appropriation partenariale et de pédagogie. Sur la base des premières initiatives (par exemple la Seine-Saint-Denis) un guide de déploiement sera élaboré qui laissera une grande marge de manœuvre locale.
La deuxième déclinaison est par activité. On n’appliquera pas les principes de laïcité de la même façon dans les activités périscolaires qui se déroulent à l’école publique, dans les crèches selon qu’elles sont municipales, privées ou associatives, dans les camps scouts ou les centres de vacances, pour les personnes qui interviennent à domicile, dans les centres sociaux, dans les foyers de jeunes travailleurs etc… . Nous avons engagé, à l’image des travaux de l’observatoire de la laïcité 12, l’élaboration de guides de bonne pratique dans le cadre de nos comités partenariaux.
Troisième déclinaison, la déclinaison contractuelle. Sauf exception (pour exemple l’agrément des centres sociaux) la relation avec les partenaires des Caf sont de nature contractuelle, sont réglées par des conventions qui constituent « la loi des parties ». Notre objectif est donc d’intégrer les principes de la laïcité dans nos outils contractuels pour leur donner un caractère obligatoire. C’est un travail engagé avec l’appui de juristes, notamment avec Jean Gaermynck, conseiller d’Etat que nous avons choisi, Jean-Louis Deroussen et moi, comme personnalité indépendante du Comité de la charte. Cette intégration contractuelle permettra de vérifier leur application du comité de la charte et, on l’espère, le moins souvent possible, de sanctionner leur non application en constatant la rupture du contrat.
Pour coordonner ce travail de déploiement tenant compte des situations, du contexte et des évolutions, et pour apprécier les situations litigieuses nous avons donc mis en place un comité consultatif et de suivi de la charte de la laïcité de la branche et de ses partenaires composé de façon tripartite.
– Les parties prenantes de la branche, au travers des tendances représentatives dans nos conseils d’administration
– Les dirigeants de la branche représentés par des directeurs désignés par inter-régions
– Et les partenaires, représentés par des personnes volontaires et candidates avec un souci de représentation de la diversité des activités et des sensibilités
mais auquel participent également les autorités publiques partenaires13, ainsi que des experts spécialisés.
Il s’agit, on le voit, d’une instance de régulation de ce droit souple adaptée à son application en matière de laïcité.
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Je ne comprend pas le sens de ce commentaire.