Je suis opposé au référendum d’initiative citoyenne, le fameux Ric dont l’acronyme s’est hérissé sur les ronds-points, comme d’ailleurs à un usage immodéré du référendum, présenté, à tord, comme le summum de la démocratie, puisque la loi y est adoptée par le peuple, et comme le retour à une démocratie réellement participative. Bien sûr je ne sous estime pas pour autant l’épuisement de nos outils démocratiques et la crise à laquelle fait face la démocratie représentative, ni la nécessité de développer et renforcer des formes de démocratie participative. Mais le référendum n’est pas, loin s’en faut, une forme de démocratie participative, et il apporte une mauvaise réponse à une vraie question : notre démocratie est malade c’est vrai, mais il ne faudrait pas qu’un remède inadapté tue le patient.
Je suis contre le RIC et plus généralement l’usage immodéré de l’outil référendaire, moins à cause de ses dérives plébiscitaires historiques, en tous cas en France, même si on aurait tord de les oublier (derrière la revendication du Ric de nombre de gilets jaunes, il y a le secret espoir qu’un désaveu populaire oblige le Président élu à démissionner, comme l’avait fait le fondateur de la 5ème République en 1969, après l’échec du référendum sur le Sénat), que parce qu’il enferme les citoyens dans un choix binaire, inadapté à la complexité des questions auxquelles sont confrontées nos sociétés. La technique du vote, qui n’est qu’un des éléments de la démocratie, exige de ramener les choix à une alternative : oui ou non pour le référendum, gauche ou droite, pour les élections, entre les deux candidats arrivés en tête pour le deuxième tour de la présidentielle. On voit bien que cette bipolarisation de la vie politique participe de la désaffection des citoyens et de la perte de légitimité des élus.
Pour la plupart des politiques publiques, on ne peut ramener le choix à un choix binaire, en « pour ou contre ». Comment détacher par exemple la question de l’ISF, sur laquelle il n’y aurait pas de difficulté à obtenir une majorité pour son rétablissement, de l’ensemble de la politique fiscale, de l’utilisation qui est faite des impôts et de la question de l’équilibre générale des finances publiques. C’est encore plus vrai pour les politiques qui touchent à l’enjeu le plus crucial pour notre époque, l’environnement : toute décision dans ce domaine peut avoir des effets à la fois positifs et négatifs et plus encore qu’en matière de politique économique ou sociale, c’est affaire de réglage fin (« fine tuning ») qui se prête mal à une alternative.
Le référendum est ainsi la porte ouverte à toutes les ambiguïtés et à toutes les démagogies, a fortiori dans un contexte où les fausses informations ont un poids croissant. L’exemple du Brexit est une leçon de choses dramatique des risques de la procédure référendaire : ceux qui ont appelé à voter pour la sortie du Royaume Uni de l’Union européenne se sont appuyés sur des arguments tellement faux, qu’ils se sont refusés à tirer eux-mêmes les conséquences de la décision à laquelle ils avaient appelés. On pourrait faire une analyse analogue du vote de 2005 sur le projet de constitution européenne, où les nonistes, majoritaires, ont rassemblé à la fois des opposants à l’Europe et des partisans d’une Europe moins libérale : une opposition majoritaire est facile à organiser, elle ne conduit pas à une majorité positive pour une politique donnée.
Le référendum ne relève pas de la démocratie participative, car même d’initiative citoyenne, les citoyens ne participent pas réellement à l’élaboration de la loi : ils doivent se prononcer sur un projet qu’ils ne peuvent amender contrairement aux parlementaires et tous ceux qui ont fait
Le référendum local, peut-être moins ambiguë, présente néanmoins des risques importants, soit de rejet de projets nécessaires au nom du « not in my backyard » (« pas au fonds de mon jardin »), soit, au contraire, d’acceptation compte tenu des retombées positives locales, sans considération des aspects globaux, comme on l’a vu avec celui sur l’aéroport de Notre Dame des Landes. Comme dans le cas du Brexit ou de la Constitution européenne, le résultat de la consultation peut conduire à une impasse pour la décision politique, conduisant finalement à s’assoir dessus, ce qui est pire que tous : autant le gouvernement ou le parlement peuvent ou changer d’avis, ou changer tout court, autant il est difficile de solliciter le peuple pour se désavouer ; on ne peut pas, comme le proposait avec humour Bertold Brecht, parce qu’il est contre, « dissoudre le peuple ».
Il faut se limiter à un usage raisonné du référendum, qui n’a pas beaucoup d’autre avantage que de donner une légitimité forte à certains textes fondamentaux, tel la Constitution, comme l’élection au suffrage universel est supposée donner une onction républicaine au Président.
Il est d’autres moyens, pour développer la démocratie participative, que de renforcer le référendum. Le premier c’est de reconnaître et développer le « droit de pétition » : après avoir disparu des textes constitutionnels avec le second empire, il n’a été réintroduit, timidement mais qu’en 2008. Encore la réforme a-t-elle mis des conditions extrêmement restrictive à son exercice auprès du Cese, comme d’ailleurs auprès des collectivités locales.
Le succès du grand débat national montre aussi l’intérêt et la nécessité de développer les formes de « débat public ». On peut d’ailleurs regretter que celui-ci n’ai finalement pas été organisé par la Commission nationale du débat public, dont de nombreux français ont appris l’existence à cette occasion. Pourtant, instituée par la loi Barnier de 1995, celle-ci a été mise en place pour permettre de traiter démocratiquement des politiques environnementale.
C’est pour organiser ces formes de démocratie réellement participative que j’ai proposé une réforme du Cese, pour en faire une troisième assemblée, chargée justement d’être la chambre d’écho de ces formes d’expression.
Paris, le 10 février 2019.
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