Chantiers, Sur le fil

Modeste contribution à l’élaboration d’un programme d’Union républicaine

La seule façon  de sortir par le haut de la crise actuelle est

  1. bien sûr, d’éviter absolument que le RN ait une majorité parlementaire
  2. mais aussi, comme il n’y aura probablement pas de majorité pour le Nouveau Front Populaire, qu’un gouvernement d’Union républicain se constitue autour d’une personnalité susceptible de fédérer des courants contradictoires.

Ce papier a pour but de montrer que c’est possible sans trop de contorsions, au moins pour les politiques publiques pour lesquelles j’ai une certaine expertise, et ce en partant des préoccupations prioritaires de nos concitoyens, à l’exception de la question migratoire sur laquelle, hélas l’hégémonie idéologique du RN s’est imposée comme l’a d’ailleurs constaté Marine Le Pen elle-même lors du vote de la loi « immigration », et en s’appuyant sur les points d’accord qui peuvent exister sur les réponses à apporter à ces priorités.

Cela suppose que chacun mette un peu d’eau dans son vin : que le centre et la droite libérale, macroniste ou républicaine, abandonnent le dogme de la baisse, ou au mieux du plafonnement, des prélèvements obligatoires, ce qui ne permet pas, l’expérience l’a montré, de dégager les marges de manœuvre pour investir les moyens nécessaires au règlement de ces questions ; que la gauche accepte de ne pas vouloir tout tout de suite et se concentre sur ces réponses prioritaires de façon à faire ce qu’Emmanuel Macron n’a pas su (voulu) faire, faire régresser les raisons de voter RN ; et que les uns et les autres acceptent de reporter à 2027 le règlement des questions clivantes , en préparant en même temps un débat démocratique de qualité sur ces sujets.

Sur la question migratoire, ce serait une erreur d’abolir la dernière loi, et ce malgré le caractère scandaleux d’une partie de son contenu et plus encore de ses modalités d’adoption : d’une part cela utiliserait trop de temps parlementaire sans être certain d’aboutir, d’autre part cela contribuerait à relancer l’hystérisation des débats sur le sujet, avec le risque de ne pas être suivi par la plus grande partie de l’opinion ; mis à part le symbole, c’est d’autant moins nécessaire que les dispositions les plus scélérates ont été annulées, heureusement, par le Conseil constitutionnel. Comme l’avait proposé le président du Cese, ou encore le Conseil national des villes, la première chose à faire est de lancer une conférence citoyenne sur le sujet, en en rendant public, en tout ou en partie, les débats, et en lui laissant le temps d’analyser les différentes dimensions d’un sujet particulièrement complexe. En attendant, et il n’est pas besoin de légiférer pour cela, un gouvernement d’Union républicaine peut tout à fait relancer une vraie politique d’intégration, aujourd’hui devenue le parent pauvre de la politique migratoire et notamment :

  • de renforcer les moyens des préfectures pour traiter correctement les demandes de permis de séjour, et donner des instructions aux préfets pour les attribuer dans de meilleures conditions,
  • et de réinvestir dans la dimension d’investissement social de la politique de la ville, en s’inspirant des propositions du rapport Borloo, ainsi que des avis du Conseil national des villes, ce qui permettrait aussi de prévenir une récidive des événements d’il y a un an.

Mais pour attaquer le mal à la racine il est surtout nécessaire de traiter ce qui nourrit le plus les peurs des français y compris en termes de sécurité, comme l’indiquent les analyses de l’opinion (cf. ci-dessous) : la crainte des attentats djihadistes et plus généralement la montée d’un islamisme radical qui nourrit en outre un nouvel antisémitisme, et ce sans tomber pour autant dans l’islamophobie. Un tel équilibre est possible, comme l’illustrent les mesures proposées sur le sujet par le programme du NFP. Cela suppose d’un côté de ne pas baisser la garde sur la lutte contre la radicalisation, comme l’avait fait Emmanuel Macron en 2017-2018, et de lutter contre toutes les manifestations de prosélytisme islamiste, notamment à l’école (contestation de certains enseignements notamment) et de pénaliser la qualification de blasphème de tout propos critique à l’égard des religions. D’un autre côté, il faut abolir les dispositions liberticides de la loi dite « séparatisme » (notamment le contrat d’engagement républicain) et renforcer la pénalisation des actes et des paroles racistes, antisémites et islamophobes. Il faut aussi sortir de l’instrumentalisation de la laïcité à des fins, le plus souvent islamophobes, qui ne sont pas les siennes, pour revenir à une laïcité pacifiée et pacifiante : c’est le sens de la proposition de création d’une autorité indépendante, placée auprès du Défenseur des droits, chargée de régler les dilemmes du quotidien dans l’application des principes de laïcité, de façon à éviter à chaque fois les psychodrames nationaux comme cela s’est passé pour l’affaire de l’abaya.

Mais la première des priorités c’est la santé, non que la question du pouvoir d’achat ne soit pas plus urgente, si l’on en juge d’après les analyse de l’opinion, mais celle-ci est plus simple à régler, l’augmentation du Smic, du point d’indice des fonctionnaires et du RSA étant surement la mesure la plus efficace et la plus aisée à mettre en œuvre : comme en 1968, ou le Smig de l’époque avait été augmenté de 35%, l’économie française sera en mesure d’absorber ce « mini-choc », au regard de celui de l’époque.

Mais que ce soit la crise hospitalière, des urgences, de la psychiatrie, ou la question des déserts médicaux (que j’ai été un des premiers à dénoncer, en 1998, quand j’étais directeur général de la MSA alors qu’il ne concernaient encore qu’une partie des terroirs ruraux et ce au grand dam de mes technocrates de collègues énarques), ce sont, surtout, après la crise Covid, les inquiétudes sur la capacité à être soigné qui alimentent nombre des ressentiments de nos concitoyens. J’ai développé ailleurs les mesures à prendre dans ce cadre. Sur ces sujets, il y a moins désaccord sur les solutions entre la droite et la gauche que sur la volonté de dégager les moyens nécessaires, c’est à dire d’abandonner l’idée de ramener la croissance de l’Ondam au niveau (voir en dessous) de celle du PIB, et aussi de faire preuve d’un peu de courage politique vis à vis des professions libérales de santé, principalement les médecins, et vis à vis des groupes privés en santé.

Les marges de manœuvre dégagées sur l’Ondam devraient également permettre de commencer à donner un réel contenu à la couverture d’un  cinquième risque, couvrant mieux le handicap et surtout la dépendance des personnes âgées, en s’appuyant sur les trois rapports inappliqués depuis vingt ans pour des raisons financières -Bachelot sous Sarkozy, Delaunay sous Hollande ou Libault sous Macron- et ce sans attendre une grande loi « vieillissement » régulièrement repoussée. De même ces marges de manœuvre devraient permettre d’assurer l’accès de tous à des soins palliatifs permettant le vote dans de bonnes conditions de la loi sur l’aide à mourir.

Sur les autres sujets de protection sociale, les conditions ne seront surement pas remplies pour revenir totalement sur la récente réforme des retraites, a fortiori pour revenir à la retraite à 60 ans : on peut, en revanche, en geler l’application un an après, ce qui ne mettra pas en péril, à court terme, l’équilibre général du système, et en profiter pour reprendre les travaux à la racine, dans le cadre d’un Grenelle des retraites, en s’appuyant sur ceux qui avaient été conduits par Jean-Paul Delevoye mais arrêtés sous les coups de boutoirs d’Edouard Philippe, ce pour refondre le système de retraite dans un sens plus juste et plus équitable et régulable sans à-coups et drames nationaux . Il en est de même pour la question de l’assurance chômage, après le gel de la réforme programmée par le gouvernement Attal. Ces travaux pourrait s’inscrire dans une réflexion plus générale sur l’évolution des « filets de sécurité » de notre système de protection sociale.

En la matière il est surtout urgent de permettre l’accès aux droits dans de bonnes conditions aux prestations de solidarité, ce qui, dans un premier temps ne nécessite pas de mesures législatives autres que celles qui peuvent prendre place dans une loi de financement de la sécurité sociale. A ce titre, come j’ai déjà pu l’écrire ici, la priorité doit être donnée à la mise en place de la solidarité à la source dont le calendrier peut être accéléré, aux renforcement des moyens des Caf et à l’évolution de leur doctrine de lutte contre la fraude, en abandonnant le principe de présomption de culpabilité. De façon plus générale il serait nécessaire de faire évoluer les maisons « France service » vers des « Maisons de la fraternité » telles qu’elles avaient été proposées par Stéphane Hessel et Edgar Morin, en en faisant, sur tout le territoire, l’incarnation des services publics de proximité, de services publics « à visage humain ».

Sur la question écologique, il est possible d’exhumer, dans un premier temps, les conclusions de la Conférence citoyenne sur le climat, abandonnées par le même Edouard Philippe et son successeur. Il est également possible d’appliquer les conclusions du rapport Pisani-Mahfouz, repoussé en son temps par Bruno Lemaire. Dans les deux cas principalement pour des raisons financières.

En la matière, l’un des problèmes les plus importants, comme on l’a vu en début d’année avec les reculades suite à la crise agricole, est celui de la conciliation entre agriculture et environnement, et à laquelle, contrairement à ses ambitions initiales, le projet de loi d’orientation agricole n’pporte pas de réponse. Comme je l’avais proposé dans mon rapport sur la prévention du mal-être et du risque suicidaire en agriculture, il serait nécessaire de sortir du microcosme agricole pour régler ces questions et permettre une appropriation citoyenne de ces questions visant à sortir de la logique des injonctions contradictoires adressées à l’agriculture.

Cette méthode pragmatique s’appuyant sur des diagnostics partagés par les différentes tendance de la société française et visant aussi à améliorer la qualité du débat démocratique peut s’appliquer aux autres domaines prioritaires, comme la sécurité ou l’éducation.

Annexe : Quid des préoccupations prioritaires des français ?

Les sondages permettent évidemment de mesurer le niveau de préoccupation sur les différents sujets, même si ils expriment aussi un certaine volatilité de l’opinion sur ces sujets, que less résultats dépendent de la façon dont les questions ont été posées, et ne permettent pas d’analyser en profondeur les ressorts de ces préoccupations.

La dernière vague du baromètre politique Ipsos hiérarchise ces préoccupations de la façon suivante :

Dans l’enquête internationale « What Worries the World » , le même Ipsos sur « Les préoccupations des français en juin 2024 », la pauvreté et les inégalités sociales arrivent en 4ème position des inquiétudes des Français avec 25%, à égalité avec celles concernant le système de santé.

Dans « 2022 les Français ont choisi ! », Barbara Lefevre se livre en collaboration avec l’Ifop, à une analyse plus structurelle de ces préoccupations, en décortiquant le choix des français pour

  • l’urgence sécuritaire
  • plus de dépenses publiques
  • la priorité à l’hôpital public
  • une économie locale
  • la réduction des inégalités scolaires
  • une meilleure démocratie
  • la république avant la nation.

Sur le sujet de la sécurité l’analyse montre que le sujet plus complexe, et n’est pas encore connecté à cette époque avec la question de l’immigration, sauf, de façon très indirecte sur « la menace djihadiste ».

De façon générale, nos concitoyens ont conscience qu’on ne peut régler les problèmes de la société française sans augmenter les dépenses, même si, évidemment cela ne suffit pas, avec une priorité affirmée pour l’école et plus encore pour la santé.

Sur ce dernier sujet, après l’urgence à régler la crise hospitalière, vient également la nécessité de « combattre les déserts médicaux », dont on a vu à quel point ils contribuaient aux préoccupations denos concitoyens.

Paris, Croulebarbe, le 5 juillet 2024

 

 

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