Sous le titresignificatif « Le Cese, la chambre invisible de la République », l’émission Politique ! du 15 décembre, sur France Culture abordait un sujet peu connu : le rôle et le fonctionnement du Conseil économique social et environnemental. Malgré la réforme de 2008 qui a renforcé ses compétences, le Cese reste en effet un impensé constitutionnel, alors qu’il pourrait être une vraie chambre de résonnance de la société, une sorte de troisième pilier du parlement.
La crise des gilets jaunes a en effet montré l’inadaptation de nos processus démocratiques à la bonne prise en compte et à la conciliation des objectifs économiques, sociaux et environnementaux. Ce n’est pas vraiment étonnant : ces processus démocratiques n’ont pas été mis en place pour régler les problèmes auxquels sont confrontés nos sociétés du début du 21ème siècle, pour concilier des objectifs en apparence contradictoires dans chacun de ces trois domaines et qu’il est de plus en plus difficile à ramener à des choix binaires, oui ou non comme dans un referendum, gauche ou droite comme dans des élections, par exemple. Cette difficulté explique à la fois le succès du « en même temps » macronien pendant la campagne électorale et la déception suscitée depuis par sa mise en œuvre, comme, de façon générale, la difficulté à faire trancher avec nos outils démocratiques traditionnels les questions complexes auxquelles sont confrontées nos sociétés, comme le désengagement d’une partie de nos concitoyens du geste électoral et son réinvestissement dans des mouvements protestataires certes efficaces dans le rejet de mesures mais beaucoup moins dans la définition de politiques cohérentes.
Puisqu’il est question d’une réforme constitutionnelle, mettons la question du CESE à l’ordre du jour, pour en faire une véritable assemblée, composée différemment des deux autres et ayant un réel pouvoir, mais d’une nature différente.
Pour que la démocratie fonctionne, le peuple a besoin d’être représenté et c’est l’élection qui a été choisi, principalement, comme mode de représentation. Le Cese assure, lui, la représentation de la société au travers des corps intermédiaires. On voit bien que ce mode d’expression et de médiation, s’il reste nécessaire, est devenu insuffisant. On pourrait le compléter de deux façons : d’une part avec un deuxième collège de citoyens désignés par tirage au sort, d’autre part avec un troisième collège des experts permettant de mobiliser les éléments de connaissance scientifique nécessaires à la décision publique, comme par exemple en matière de politique environnementale, mais aussi de politique de santé, et même, puisque c’est supposé être un des rôles historiques du Cese, de politique économique et de politique sociale.
Mais tout cela pour quoi faire ? La participation du Cese au processus de décision est particulièrement faible : principalement par la voie de rapports et en rendant des avis au gouvernement, qui au demeurant ne le sollicite guère, sur les projets de loi. En ce qui concerne les rapports, souvent de qualité, on cite régulièrement celui de Joseph Wresinski en 1987, sur « Grande pauvreté et précarité économique et sociale », parce qu’il a eu un débouché, dès 2008, avec la création du RMI, même si celui-ci n’est qu’une lointaine déclinaison des propositions qui avaient été faites, et même si les autres mesures proposées n’ont vu que de très faibles concrétisations. Mais la plupart des autres rapports sont restés « lettres mortes », que ce soit dans le travail législatif ou dans la définition ou la mise en œuvre des politiques publiques. Sans donner à la nouvelle assemblée un rôle direct dans la confection de la loi (sauf à supprimer le Sénat, comme le souhaitait de Gaulle en 1969 pour le fondre avec le Conseil économique et social, il est difficile d’imaginer une « navette à trois »), on peut lui donner un réel pouvoir dans l’élaboration des politiques publiques et dans l’initiative législative, de façon à réintroduire des éléments de démocratie direct, sans tomber dans le piège du référendum d’initiative populaire (ou citoyenne), et en développant réellement les compétences introduites en 2008.
Le Cese pourrait ainsi avoir pour fonction constitutionnelle :
- d’organiser le droit de pétition, en faisant une obligation pour le Cese de se saisir de toute pétition ayant atteint un nombre minimum de signataires, et d’en tirer, après audition des initiateurs, examen et analyse, d’éventuelles propositions d’évolution des politiques publiques ;
- d’avoir, conjointement avec le gouvernement et le parlement, l’initiative de la loi, en prévoyant l’examen obligatoire des propositions élaborées par le Cese, sur la base de ses rapports, qu’ils soit consécutifs à une pétition ou non ; pour éviter toute irresponsabilité juridique ou financière, on pourrait prévoir un examen de ces propositions par le Conseil d’Etat (comme c’est le cas pour les projets de loi gouvernementaux), mais aussi par la Cour des comptes (pour vérifier la soutenabilité pour les finances publiques) ;
- d’organiser en conséquence les éventuelles consultations référendaires, sur les projets législatifs qui justifieraient un recours à cette consultation directe des citoyens (donc d’organiser réellement le referendum d’initiative citoyenne) ;
- de jouer réellement un rôle de conseil auprès du gouvernement pour la mise en œuvre des politiques publiques, et surtout pour leur évaluation, de façon à mettre en place un vrai dispositif d’évaluation des politiques publiques, et ce de façon transparente et démocratique.
L’évolution de la composition permettrait à ce nouveau Cese de jouer réellement son rôle :
- le collège des corps intermédiaires, issu pour l’essentiel du Cese actuel, devrait permettre l’expression des différents composantes organisées de la société, sous réserve qu’ils désignent des représentants présents et engagés et qui arrivent à dépasser une stricte logique de défense des intérêts corporatistes ou particuliers ;
- le collège des citoyens, tirés au sort de façon à avoir, au sens statistique du terme, un échantillon représentatif de la société française, une sorte de « focus group » national, permettant d’avoir un regard direct des citoyens sur les projets mais aussi éclairé par le développement d’une expertise citoyenne ;
- le collége des experts, qui pourrait être désignés par des autorités scientifiques indépendantes (par exemple la HAS pour la santé) permettant d’intégrer l’état des connaissances sur les différents sujets, et donc d’éviter les dérives antiscientifiques auxquelles on assiste actuellement, mais en obligeant les sachants à se confronter à l’expression citoyenne.
Tout cela nécessite de moderniser une institution, bien sympathique certes, mais à bien des égards encore poussiéreuse et au faible rendement démocratique.
Paris, 15 décembre 2018-12 janvier 2019
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