Je l’ai dit à Thomas Legrand : j’aurais bien aimé avoir son Histoire de la Vème République en BD, quand je préparais l’Ena, comme support du cours de droit constitutionnel. Non pour critiquer Bernard Stirn qui m’a fait découvrir avec talent cette matière passionnante, mais parce que la BD permet des mises en scènes que ne permettent pas les meilleurs traités juridiques.
Tintin au pays de la cinquième
A propos de L’histoire de la Vème République en BD
de Thomas Legrand et François Warzala
Tel le Professeur Mortimer dans Le piège diabolique, Thomas Legrand remonte dans le temps ; non pas au temps des dinosaures, mais plus modestement, dans une sorte de Retour vers le futur, tout au long des soixante dernières années ; sa façon à lui de célébrer l’arrivée de la Constitution de la 5ème République à l’âge de la carte sénior. Seule celle de la 3ème République a duré (un peu) plus longtemps et, au moins jusqu’à présent, l’habit de monarque républicain qu’on croyait avoir été taillé à la mesure de son fondateur s’est adapté, certes avec parfois quelques difficultés aux entournures, aux sept présidents qui lui ont succédé.
Un bon dessin vaut mieux qu’un long discours, et le neuvième art permet des mises en scène que ne permettent pas les meilleurs traités d’histoire et de droit constitutionnel. Il permet ainsi au reporter du 21ème siècle d’assister à une scène stupéfiante, probablement apocryphe, où l’on voit, en 1958, l’homme de la France libre fumer avec Malraux une substance particulière que l’auteur de La condition humaine avait ramené d’extrême orient, et révéler à cette occasion le subconscient qui a présidé à la gestation de cette Constitution, en attendant que les fameuses « circonstances » en permettent la naissance. Il permet ainsi au reporter constitutionnaliste d’assister, dans les coulisses, aux événements, à ces « circonstances », qui ont marqué cette naissance (le 13 mai 1958, par exemple), lui ont permis de survivre au départ du père fondateur puis de s’adapter aux évolutions politiques du pays ; et même d’interviewer deux personnages qui ont donné à cette Constitution sa consistance particulière : Michel Debré en 1958, qui en fut le principal rédacteur, et François Mitterrand en 1965, qui après avoir dénoncé Le coup d’Etat permanent, a fini par accéder à la fonction suprême, et en utilisant toutes les possibilités qu’elle lui permettait, a contribué à l’installer durablement dans notre système politique national. Je le soupçonne en revanche de ne pas avoir osé s’affronter à de Gaulle, craignant peut-être de se faire rabrouer pour ses questions impertinentes, comme il avait l’habitude de le faire lors de ses fameuses conférences de presse, et d’avoir préféré compléter cette série d’interview par un entretien en 2008 sur la question des pouvoirs exceptionnels avec le grand constitutionnaliste Guy Carcassonne aujourd’hui disparu, et dont on devine qu’il s’appuie sur des échanges qui ont réellement existé.
Outre son histoire, la BD permet aussi de mettre en vignettes certains aspects de cette Constitution et surtout de la fonction présidentielle, « clé de voute » de la République, cette fonction d’incarnation ; avec ce qu’elle incarne de meilleur (les mains unis de Mitterrand et de Kohl à Douaumont, la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la déportation des juifs par Jacques Chirac au vélodrome d’hiver, ou l’union nationale, « Je suis Charlie », autour de François Hollande après les attentats de janvier 2015), mais aussi de pire (le président « bling bling » ou le président (trop) « normal ») ainsi que la part d’ombre (comme le fameux SAC police parallèle gaulliste de sinistre mémoire à côté duquel les égarements d’un certain Bénala font figure de barbouzerie d’opérette, et plus généralement l’usage du « permis de (faire) tuer » dont le pendant avec le droit de grâce a disparu avec l’abolition de la peine de mort) ; mais aussi la part privée, protégée par de Gaulle au point de licencier une femme de ménage qui avait osé photographier son lit, vide bien sûr, puis mise en scène, et de plus en plus, par ses successeurs, au risque de se faire piéger par les paparazzis de la presse people. L’analyse comparée de l’iconographie présidentielle, héritage là aussi des portraits des monarques d’ancien régime, est un des morceaux de bravoure de ce magnifique exercice de mise en image par François Warzala.
De cette histoire, Thomas Legrand tire de cette Constitution un « bilan globalement positif » (« cela a plutôt correctement fonctionné depuis 60 ans … »), souvent motivé d’ailleurs par des éléments qui n’avaient pas été voulus par ses inspirateurs, comme par exemple le poids croissant du juge constitutionnel dans le fonctionnement des institutions et dans le contrôle du respect des principes de la République, comme on l’a vu encore récemment avec l’application du principe de fraternité. En s’adaptant elle a su permettre aux français de sortir de leur instabilité constitutionnelle et à la France de bénéficier d’une stabilité politique que beaucoup de nos voisins nous envient. Mais elle ne manque pas de défauts, bien illustrés également : principalement l’hyper-présidentialisation, accentuée en 1962 par l’élection du Président de la République au suffrage universel, et en 2000 avec l’instauration du quinquennat , qui, bizarrement n’est pas vraiment abordée.
Faut-il, pour corriger ces défauts, passer à une 6ème République, comme le propose aujourd’hui Jean-Luc Mélenchon, et l’avait proposé en son temps Témoignage Chrétien. On sent que, comme Guy Carcassonne, Thomas Legrand ne penche pas dans ce sens, mais on voit en creux sur quoi pourrait porter des réformes et surtout des pratiques qui renforceraient le pouvoir du Parlement, l’indépendance de la Justice, et remettrait le Président en position d’arbitre, laissant une plus grande autonomie à un exécutif de nouveau responsable devant le Parlement (à moins qu’on évolue vers un système réellement présidentiel à l’américaine).
A lire au moment où la question du mode d’exercice de la fonction présidentielle est, plus que jamais, d’actualité.
Paris, le 15 octobre 2018
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