Le covid 19 n’est pas seulement un révélateur des impasses de la mondialisation, c’est aussi un révélateur des impasses cognitives de notre système neuronal planétaire, de cette noosphère à qui les réseaux sociaux ont donné une plus grande visibilité, et dont ils amplifient les humeurs et les contradictions.
Certes les choses ont bien changé depuis La Fontaine ou depuis Camus, mais l’humanité reste marquée par ces peurs ancestrales qui, au moins depuis le néolithique, avec la proximité des animaux domestiques et les premières concentrations humaines, ont vu dans le fléau invisible des épidémies le signe d’une punition divine nécessitant le sacrifice d’une victime expiatoire ou un symbole du mal et de ses conséquences sur les sociétés humaines.
La connaissance des phénomènes épidémiques a progressé et, dans la crise actuelle les média y contribuent largement, elle est de mieux en mieux partagée. Mais cette augmentation des savoirs et leur diffusion porte en elle même de nouveaux risques et de nouvelles peurs, qui ne sont souvent que la version modernisée des anciennes. Informés des taux de contagiosité ou de létalité, les français sont en train de se transformer en autant d’épidémiologistes, chacun y allant de ses conclusions péremptoires sur le caractère gravissime ou bénin de la crise sanitaire. Le problème, c’est que les modèles épidémiologiques sont interprétés à l’aune des conceptions déterministes et dualistes de la physique classique : on attend d’eux des certitudes sur les prévisions, on compare avec la grippe ou les accidents de la circulation. Mais la plus belle science du monde ne peut donner plus que ce qu’elle a : au point de rencontre de la biologie et des sciences humaines, épidémiologie est, par essence, marquée par les notions complémentaires de complexité et de probabilité, ce qui rend particulièrement dangereux toute analogie, et hasardeuse toute prévision, surtout quand, comme le dit l’humoriste, elle concerne l’avenir. Roseline Bachelot l’a appris à ses dépens au moment de la grippe H1N1 quand elle a voulu couvrir par la vaccination l’ensemble de la population française contre un risque, annoncé par les instances internationales, mais qui ne s’est pas réalisé.
Redoutable question au passage pour la démocratie, car, comme avec le marché (et on le voit avec le rush sur les solutions hydroalcooliques ou sur les pâtes), l’addition des opinions individuelles sur laquelle elle repose n’aboutit pas nécessairement à la solution la meilleure pour tous, et ce d’autant plus que la lutte contre ces fléaux nécessitent souvent des décisions contrintuitives. Faut-il alors se résoudre à laisser, comme le souhaitait Saint Simon, le gouvernement aux savants et aux sachants ? Pour une part oui, dans ces périodes de crise au moins, et c’est le choix que semble avoir fait le gouvernement. Mais c’est compter sans les réseaux sociaux et leur capacité à distiller ce poison de la suspicion. Et, de toutes façons, un contrôle démocratique sur les décisions qui sont prises nécessitera des citoyens (et des représentants) suffisamment formés ; comme pour les solutions à la crise environnementale. L’une des leçons à tirer de cette crise, c’est la nécessité de relancer le projet, cher à Edgar Morin, d’une éducation pour le 21ème siècle qui nous permettre de sortir de la pensée déterministe et binaire, pour intégrer dans une nouvelle révolution copernicienne à laquelle nous appelle le monde d’aujourd’hui, les notions de risque et de complexité.
Paris, le 8 mars 2020
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