Sous le titre « Vive la Sécu ! », Témoignage Chrétien du 19 juillet 2018 a publié une version abrégé de mon papier sur le fil, « L’Etat-providence est mort ? Vive l’Etat-providence ! Mettre en œuvre le plan complet de Sécurité sociale du CNR. », qui faisait suite à la polémique sur l’amendement d’Olivier Veran. Je le republie ici avec une petite correction : une erreur avait échappé à ma relecture attentive, ce n’est pas au nom du régime général que sont gérés les régimes particuliers, comme celui des agriculteurs, mais bien dans le cadre de la Sécurité sociale.
Pas touche à la Sécurité sociale, même si c’est pour élargir son champ de financement. Retour sur un amendement qui a fait couler beaucoup d’encre et suscité de nombreuses erreurs d’interprétation.
Vive la Sécu !
La soi-disant tentative de supprimer le terme « Sécurité sociale » dans la Constitution, liée à un amendement proposé par Olivier Véran, a déclenché les déclarations outrées de ceux que j’ai appelés en leur temps les thuriféraires de l’ordonnance de 1945. En fait, l’intention n’a jamais été de remettre en cause le fait que la Sécurité sociale est un des piliers de la République, et cette initiative ne méritait ni tant d’honneur, ni surtout tant d’indignité.
Ni tant d’indignité car il s’agissait seulement d’élargir les lois de financement de ce pilier à d’autres domaines que la seule Sécurité sociale, au sens que ce terme revêt en France. Et donc de couvrir d’autres secteurs de la protection sociale, lesquels en font partie au sens large – qui est le sien partout ailleurs. Ni tant d’honneur, car, même si je soutiens totalement son objectif, je crois qu’il faudrait inverser le raisonnement et, au lieu d’élargir le champ des lois de financement au reste de la protection sociale, étendre celui de la Sécurité sociale elle-même à l’ensemble de la protection sociale solidaire.
En effet, ce qu’on appelle juridiquement la Sécurité sociale en France est le résultat d’une construction historico-baroque qui n’a pas commencé en 1945, mais dès le début du XXe siècle, et n’a toujours pas atteint l’objectif d’universalité qu’avaient rêvé les pères de la Sécu de 45 avec le « plan complet de Sécurité sociale » projeté par le Conseil national de la Résistance (CNR) en avril 1944 ou les projets de Pierre Laroque, le père de la Sécu.
L’ordonnance de 1945 n’a fait qu’intégrer dans un nouvel ensemble appelé Sécurité sociale les dispositifs qui résultaient des lois d’assurance sociale de 1930 et des allocations familiales de 1932, ainsi que la législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles qui datait de la fin du XIXe siècle et ce qui restait de la loi sur les retraites ouvrières et paysannes de 1910 : tout cela a donné le régime général de Sécurité sociale, auquel se sont progressivement ajoutés les régimes des fonctionnaires, des étudiants, des agriculteurs et des indépendants, gérés par des institutions particulières.
N’ont pas été intégrés à « la Sécu » au sens institutionnel tant les régimes complémentaires de retraite que celui de l’assurance chômage pour les salariés, les prestations dites de « solidarité » que sont les minima sociaux ou les allocations logement, ou encore l’embryon de « cinquième risque » que gère la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).
Conséquence, sont hors du champ des lois de financement de la Sécurité sociale une bonne partie des dépenses de protection sociale (32 % du PIB, le taux le plus élevé d’Europe), soit qu’elles dépendent des lois de finances elles-mêmes – pour les prestations financées sur le budget de l’État, comme l’allocation aux adultes handicapés (AAH), la prime d’activité ou les allocations logement –, du budget des départements – pour le revenu de solidarité active (RSA) et l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) –, ou des accords entre les partenaires sociaux – pour les retraites complémentaires ou l’assurance chômage. On peut rêver meilleure transparence et meilleure lisibilité financière !
Mais nul besoin de modifier la Constitution pour donner à la Sécurité sociale sa totale (et initiale) acception. Il suffit d’intégrer dans le Code de la Sécurité sociale, ce qui était d’ailleurs l’intention des rédacteurs de l’ordonnance du 4 octobre 1945, et conformément au premier article de ce code, y compris avec leurs modes de gestion spécifiques, l’ensemble des dispositifs qui se sont sédimentés depuis 1945 et qui ont trouvé leur place ailleurs. Ce serait l’occasion aussi de redonner de la lisibilité à un système auquel les Français sont légitimement attachés, mais au maquis duquel ils ne comprennent plus grand-chose.
En revanche il serait sûrement utile de « moderniser » les vraies bases constitutionnelles du droit à la Sécurité sociale, qui résultent du préambule de 1946 (alinéa 11, qui ne fait d’ailleurs pas référence explicitement à la Sécu) et sont datées dans leur formulation : « [La Nation] garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
La formulation lapidaire de l’article 22 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) indique mieux la vocation universelle de la Sécurité sociale, qui inspirait les rédacteurs du programme du CNR : « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la Sécurité sociale. » Une telle formulation, intégrée dans l’article 1er de la Constitution dont la formulation vient d’être modernisée pour supprimer le mot « race », donnerait, pour le coup, une vraie base constitutionnelle à la Sécu.
Daniel LENOIR
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