Sous le titre « Santé : une ordonnance en sept dilemmes », Témoignage Chrétien a publié le 13 septembre une version abrégée de mon papier de blogue sur « Les dilemmes du placebo », que j’ai le plaisir de reproduire ici.
« Patients comme corps médical s’inquiètent des mesures qui seront annoncées dans le plan santé le 18 septembre. Sans préjuger de ce qu’il contiendra, voici des clefs de décryptage pour mieux en comprendre les enjeux. »
Santé : une ordonnance en sept dilemme
La santé est omniprésente dans notre vie quotidienne comme dans l’actualité : de la dérive des arrêts maladie à la crise de la psychiatrie, de la surcharge des urgences à l’abandon du numerus clausus, de la question du remboursement de l’homéopathie à celle de l’obligation vaccinale. Et, chaque fois, c’est la figure du dilemme qui se présente au politique, alors qu’il faut au contraire arriver à conjuguer « en même temps » deux termes en apparence contradictoires, et sur sept sujets majeurs.
1. Médecine hospitalière et médecine de ville. Les déserts médicaux se sont multipliés, et même dans les régions où il y a assez de médecins, la nuit ou le week-end, difficile de trouver quelqu’un. L’hôpital est débordé, tiraillé entre les efforts d’économie nécessaires et l’afflux de patients. La question des urgences est l’expression la plus emblématique de cette double tension. La réorganisation nécessaire du système de soins a été l’enjeu de toutes les réformes depuis dix ans avec, au-delà des alternances, et des bonnes intentions, une grande continuité : la difficulté de sortir de notre hospitalo-centrisme fondateur, et d’imposer des contraintes, par exemple en matière d’installation, à une médecine libérale dont le financement est pourtant essentiellement public.
2. La tête et le corps. Notre système de soins repose sur une coupure, radicale, entre les soins du corps et ceux de l’esprit, entre le somatique et le psychique. Si l’hôpital est malade, la psychiatrie l’est plus encore, alors que les pathologies mentales (un malade sur cinq) restent un tabou de notre société. Mais le plus grave n’est pas là : la médecine et, donc, la politique de santé n’arrivent toujours pas à penser l’unité de la personne humaine et surtout à organiser sa prise en charge en sortant du dualisme cartésien du corps et de l’esprit.
3. Soigner et prendre soin. L’anglais distingue le cure et le care. Nous, le médical (les hôpitaux, les médecins) et le médico-social (les Ehpad notamment). Médecine déshumanisée d’un côté, maltraitance aux personnes âgées de l’autre. Dans les deux cas, l’attention que nécessite le « prendre soin » est de moins en moins au rendez-vous. La politique de santé doit réussir à appréhender et organiser le soin dans sa globalité. Ce qui suppose d’évaluer tous les types de soins, et pas seulement les médicaments.
4. Prévenir et guérir. « Mieux vaut prévenir que guérir », dit le proverbe. Pourtant, sur dix ans, les dépenses de soins augmentent de 2,6 % par an, celles de prévention de 1 % seulement. Mais les facteurs favorables ou défavorables à la santé relèvent aussi d’autres politiques, notamment de l’environnement. La prévention doit donc s’accompagner d’une politique environnementale moins défavorable à la santé.
5. L’humain et le numérique. La révolution numérique n’a pas encore vraiment touché la santé. Si les risques d’ubérisation existent, ce n’est pas demain la veille qu’on remplacera les médecins par des ordinateurs ou les aides-soignantes par des robots. En revanche, la médecine et les soins doivent bénéficier des potentialités de la révolution numérique, y compris pour éviter que le secteur soit investi par Google et les autres géants du domaine. Sans compter qu’en libérant médecins et soignants d’une partie de l’expertise et de la technique, on peut aussi réhumaniser leurs métiers.
6. Le patient, usager et expert. Le patient est devenu usager, et ce faisant expert. Le développement des maladies chroniques et les scandales sanitaires sont passés par là, et les réseaux sociaux ont amplifié le mouvement. On voit bien, avec le mouvement antivaccination, les risques que le soupçon généralisé fait peser sur la santé. Mais la montée des associations d’usagers a obligé le système de soins à une révolution silencieuse, celle de la « démocratie sanitaire ». La politique de santé, qui repose de plus en plus sur l’évaluation des techniques de soin, doit aussi viser à démocratiser ces évaluations, condition indispensable pour recréer un lien de confiance.
7. Maîtriser la dépense et garantir l’accès de tous à la santé. La question n’est pas nouvelle et depuis quinze ans la maîtrise de la dépense a fait d’immenses progrès, sans trop dégrader, voire en améliorant, l’accès aux soins. Mais ramener la croissance des dépenses de santé à celle du PIB pour éviter d’augmenter les prélèvements obligatoires devient de plus en plus difficile. Cette équation ardue restera la pierre de touche de la politique de santé, et, finalement, son principal déterminant.
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