Dans son numéro du 23 mai, Témoignage Chrétien a repris sous ce titre et dans une version complétée avec l’appel à la fraternité que j’avais signé le 16 mai, mon papier publié ici sous le titre Fraternité j’écris ton nom (3). Les français et la diversité des croyants de moins en moins pratiquant ».
Fraternité : croyants mais peu pratiquants
Les Français plébiscitent le « vivre ensemble » et revendiquent haut et fort les bienfaits de la diversité. Une excellente nouvelle, inattendue, mais qui peine à s’inscrire dans le quotidien.
Étonnants et rassurants à la fois, les résultats du baromètre de la fraternité (1) publiés par le Laboratoire de la fraternité à l’occasion de la « Journée internationale du vivre ensemble en paix » : pour plus d’un français sur cinq (81 %), la diversité apparaît comme « une bonne chose », enrichissante pour les individus (75 %), nous ouvrant sur le monde (72 %), et favorisant la créativité (70 %). Une diversité d’abord ethnique (47 %), mais aussi culturelle (45 %), sociale (34 %), nationale (30 %) ou religieuse (28 %). On se demande presque où le Rassemblement national va chercher ses électeurs ! La diversité est d’ailleurs le premier terme qui vient qualifier la France (87 %), avant la liberté (70 %), la générosité (69 %), la tolérance (64 %) ou l’ouverture d’esprit (63 %).
Rassurant, mais étonnant surtout. Pour ne pas dire paradoxal. Car si les Français croient de plus en plus que la diversité est une bonne chose (plus cinq points en un an), ils sont aussi de moins en moins nombreux à la pratiquer au quotidien : ils sont majoritaires à ne fréquenter jamais ou seulement de temps en temps des personnes n’ayant pas la même couleur de peau (62 %), habitant dans un lieu de vie différent (62 %), ayant des convictions religieuses (63 %), une origine ethnique (66 %) ou une orientation sexuelle (69 %) différentes. Et la part de ceux qui se mélangent aux autres diminue sur tous ces items.
Peut-être est-ce le résultat de la ségrégation croissante des habitats et des rythmes de vie ? La principale cause incriminée, en effet, est le manque d’occasions de rencontre (46 %) suivie par le manque de temps (30 %). Mais il y a aussi d’autres raisons à ce recul de la mixité : d’abord la méfiance (62 %) – « On n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres » – et aussi la préférence pour les proches quand il s’agit d’aider les autres (61 %) – « Charité bien ordonnée… »
Est-ce que tout cela promeut ou dégrade le sentiment de fraternité ? Bizarrement, des trois termes de la devise de la République, celui-ci arrive quand même en deuxième position (à 54 %) quand il s’agit de retenir des qualificatifs pour définir notre pays, bien loin derrière la liberté certes, mais loin devant l’égalité (42 %). Sans doute faut-il y voir cette fameuse passion française pour l’égalité, qui explique nos frustrations, alors que nous sommes loin d’être le pays le plus inégalitaire d’Europe et que celle-ci a trouvé davantage de traduction juridique que la fraternité, qui a été reconnue par le Conseil constitutionnel comme un des principes de la République depuis un an à peine. Il faut dire que la fraternité est devancée dans le panthéon des valeurs par la solidarité (60 %), notion plus froide avec laquelle elle a souvent été confondue et qui, elle, a trouvé de nombreuses traductions juridiques et opérationnelles, à commencer par la Sécurité sociale.
Un enjeu important en effet que ce principe de fraternité. Pour les promoteurs de l’appel signé le même jour par plus de cent personnes (2), il est le fondement des réponses aux gigantesques enjeux sociaux et environnementaux auxquels nous sommes confrontés, car le seul capable de nous amener à gérer ensemble ces biens communs qui conditionnent notre avenir sur cette planète. Car la liberté et l’égalité, dans leur tension permanente, n’y suffiront pas, comme la crise des gilets jaunes en a été l’illustration, ni même la solidarité, qui permet de mutualiser les risques sociaux, mais pas de gérer ensemble notre patrimoine commun, cette « chose commune » qui porte le beau nom de République.
Paris, le 23 mai 2019
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