Ceci est un texte de travail destiné au groupe « environnement » de Démocratie & spritualité, dont j’ai pris la responsabilité. Si je le publie ici, c’est aussi pour ouvrir le débat au delà de ce cercle, avec tous ceux que ces questions intéressent.
La crise environnementale, dont l’épidémie de Covid 19 est probablement une des conséquences indirectes, fait apparaître un réel risque démocratique. Un risque démocratique, au sens où la démocratie accroitrait par elle-même le risque environnemental.
A un premier niveau on peut craindre que les démocraties ne soient pas en mesure de prendre et d’imposer les décisions, et d’aucuns finissent par prôner une écologie autoritaire. Au demeurant on a pas vu à ce jour de dictatures écologiques. A un deuxième niveau on peut aussi penser que les démocraties n’ont pas la capacité à se dépasser, à dépasser l’agrégation des désirs et des choix individuels, pour se hisser aux enjeux collectifs, pour viser un idéal. Mais c’est oublier que face aux menaces totalitaires, des héros sont morts pour défendre les valeurs de la démocratie, et, dans notre pays de la République. Certains qui « croyai(en)t au ciel » et d’autres « qui n’y croyai(en)t pas ». A un troisième niveau, l’ampleur des changements peut conduire au fatalisme, à l’abandon du combat politique, au profit d’un repli individualiste : la collapsologie, et surtout survivalistes sont une manifestation de cette attitude. Pour autant tous les collapsologues ne concluent pas au repli sur soi, et leurs thèses, même si on peut ne pas en partager toutes les conclusions, et peuvent au contraire être un puissant aiguillon de mobilisation.
Dans tous les cas on voit bien, si l’on veut dépasser cette désespérance, qu’il faut accrocher la charrue démocratique à l’étoile d’une espérance : c’est en quoi la question environnementale pose dans des termes nouveaux la question de la spiritualité, des spiritualités plutôt, en ce quelles permettent de refonder une espérance ; « La foi que j’aime le mieux (…), c’est l’Espérance », disait Péguy. La question environnementale est aussi inédite en ce qu’elle conduit à trouver une nouvelle articulation entre démocratie et spiritualité, mais en articulant aussi de façon nouvelle avec les savoirs scientifiques, sans pour autant conduire au « gouvernement des savants » ; ou, pour citer Ernst Bloch et son « Principe espérance« , « En conjuguant le courage et le savoir, l’homme empêche que l’avenir ne s’abatte sur lui comme une fatalité, il le conquiert et y pénètre avec tout ce qui est sien. Le savoir, dont ont besoin le courage et surtout la décision, ne peut rester tel qu’il a toujours été. »
Cette conjugaison, cette nouvelle articulation, entre démocratie, savoirs et spiritualité(s) doit pouvoir se faire sur sept aspect, sept couples dont il nous faut repenser les fondamentaux. C’est à une véritable culturelle, ou plutôt copernicienne que nous sommes appelés, dans la mesure oùil nous faut sortir de l’idée que nous sommes le centre du monde.
1. Repenser l’articulation entre l’humanité et la nature.
La pensée dominante, celle des monothéismes, comme celle de la tradition cartésienne, repose sur l’idée d’une rupture fondamentale entre l’homme et la nature ; et ce même si la diffusion de la théorie de l’évolution a un peu réduit la morgue des humains : c’est probablement pour cela qu’elle est refusée par les courants fondamentalistes des grandes religions monothéistes, comme ils contestent la réalité du réchauffement de l’atmosphère, ou la rotondité d’une terre qui n’est qu’une minuscule planète dans l’univers incommensurable des galaxies.
Sans tomber dans les excès inverses des antispécistes et contester l’humanisme universaliste qui fonde l’aspiration à l’émancipation des humains, il nous faut inventer un nouvel humanisme qui ne sépare pas l’espèce humaine de la nature dont elle est issue et qu’elle a profondément modifié, au moins depuis la révolution néolithique. Là aussi, la crise du covid 19 est une remarquabe leçon de chose sur la continuité fondamentale entre l’humain et la nature.
Cela a des conséquences considérables, non seulement sur la façon de penser la place de l’homme dans la nature, mais aussi de penser le statut juridique de la nature dans nos sociétés démocratiques, en retravaillant l’intuition de Michel Serres d’un contrat naturel, comme de puiser dans nos traditions spirituelles un autre fondement anthropologique à l’idée de nature.
2. Repenser l’articulation entre l’individu et le collectif.
Nos sociétés reposent sur un individualisme qui s’est construit en réaction à la vision holiste des sociétés traditionnelles. Il ne s’agit pas de remettre à l’ordre du jour ces formes holistes et potentiellement totalitaires des sociétés, même si l’on voit bien que la tentation existe, et de revenir ainsi sur ce que l’aspiration individualiste a porté de positif en terme d’émancipation, mais de tenir compte aussi des interactions qui font que, contrairement à ce qu’affirmait Margaret Thatcher, chaque individu ne peut exister que parce qu’il y a une société : on revient par là à une des intuitions fondatrices du personnalisme, notamment d’Emmanuel Mounier.
Là aussi l’épidémie de Covid 19 constitue une gigantesque leçon de choses à l’échelle planétaire, avec cette consigne en apparence paradoxale, qui conduit pour protéger la société et les individus qui la composent, à limiter au maximum les interactions, physiques, entre les individus.
3. Repenser l’articulation entre les générations, en intégrant les générations futures
Le mouvement lancé par Greta Thumberg, comme la viralité chez les jeunes de l’expression « OK boomer », est une illustration du profond malentendu entre les générations sur ces sujets.
Comment intégrer dans le processus démocratique le fait que ce sont les générations les plus jeunes, ainsi que celles qui ne sont pas encore nées, qui vivront les conséquences des décisions que nous prenons, ou ne prenons pas, alors que le principe du suffrage universel, à quoi on réduit trop souvent la démocratie, leur donne un poids inférieur à celui des génrations plus âgées (comme l’a illustré l’exemple du référendum sur le brexit au Royaume Uni), voir pas de poids du tout pour ceux qui ne sont pas nés ou n’ont pas encore atteint l’âge de voter ?
Seule une inspiration qui dépasse la recherche par chacun de son intérêt à court terme peut probablement permettre de dépasser l’égoïsme collectif des générations vieillissantes, en intégrant dans nos décisions une fonction d’utilité intergénérationnelle.
4. Repenser la solidarité et la lutte contre les inégalités.
Les travaux de Thomas Piketty, comme dans un autre ordre, le mouvement des gilets jaunes, ont mis en évidence la pertinence de « l’effet tunnel » mis en évidence par Albert O. Hirschman : quand des files de voitures sont bloquées dans un tunnel, tant que toutes les files sont bloquées, chacun ronge son frein. Si l’une des files se trouve débloquée, chacun espère que son tour va venir très rapidement. S’il ne vient pas, chaque automobiliste resté bloqué s’estime lésé, victime d’une injustice et se met en colère; le sentiment de frustration, d’injustice et de colère est décuplé et a de grandes chances de déboucher sur un conflit.
Au niveau mondial les inégalités se sont considérablement étendu, principalement vers le haut, et même le très haut. Les fortunes et les revenu dont disposent une petite classe de dirigeants qui en ont perdu la tête de cupidité, comme l’a illustrée l’affaire Ghosn, est à la fois inefficace économiquement, socialement insoutenable et moralement répréhensible.
Ce contexte est fondamentalement contraire à la solution à la question environnementale, dans la mesure où, mème sans aller jusqu’à la décroissance, elle nécessitera des efforts sur nos normes de consommation et que dans ce domaine l’exemple doit venir du sommet. Comme le dit la sagesse populaire, on commence toujours à balayer un escalier par en haut.
5. Repenser l’articulation entre le local et le global.
Là encore la crise environnementale nous oblige à regarder autrement nos repères traditionnels, tant le principe de subsidiarité, cher à Thomas d’Aquin et aux pères de l’Europe, que le célèbre « penser globalement, agir localement » des mouvements écologistes et tiers-mondistes des années soixante-dix.
D’un côté l’action locale, comme la stratégie du colibri, n’y suffira pas : l’ampleur de la tâche oblige à mettre en place des mécanismes de régulation planétaires qui ne résulteront pas de la seule addition d’initiatives locales. En même temps, et le débat des municipales l’a bien montré avant qu’il ne soit recouvert par la crise épidémique, le terrain local peut-être un puissant vecteur de mobilisation et d’action, qui peut alimenter un mouvement citoyen, capable d’agir à l’échelle nationale, européenne et planétaire.
Peut-être faudrait-il, histoire de donner à réfléchir, inverser la formule consacrée : « penser localement, agir globalement ». Une occasion de repenser la question abandonnée des partis politiques, à l’échelle mondiale, puisque c’est à ce niveau que le problèmes se posent. Il faudrait appeler à la constitution d’une nouvelle Internationale, écologique et sociale.
6. Repenser l’articulation entre l’économie politique et l’écologie politique.
Même si l’étymologie des deux expressions est la même, et vise, il est bon de s’en souvenir, la maison commune (oïkos), on ne peut qu’être frappé, à quelques heureuses exceptions près, par la faiblesse de la pensée économique sur la question environnementale, comme par la faiblesse de la pensée écologique en matière économique.
Ce chantier mériterait, comme les précédents, de longs développements, pour refonder l’analyse économique sur :
- en intégrant la question des « communs » dans le prolongement des travaux d’Elinor Ostrom ;
- une nouvelle conception de la richesse et donc de la croissance, avec notamment les conséquences sur le calcul du PIB ;
- une nouvelle conception des politiques économiques, qui tourne évidemment le dos au néo-libéralisme, mais sans revenir aux traditionnelles politiques keynésienne.
7. Repenser l’articulation entre les modes d’action citoyens et la délibération démocratique.
Les mouvements comme « extinction rebellion » redonne une nouvelle actualité à un mode d’action politique et non violent un peu oublié : la désobéissance civile. La convention citoyenne sur le climat cherche, quant à elle, à inventer de nouveaux modes de délibération démocratiques. D’un autre côté, des ONG, avec l’affaire du siècle, mettent en cause la responsabilité de l’État, et son inaction. Depuis longtemps, le mouvement altermondialiste a cherché, sans toujours évité les dérives violentes, et avec au ttal une faible efficacité, à remettre en cause le cours actuel de la mondialisation, et notamment ses conséquences environnementales (et sociales). Le mouvement des convivialistes qui vient de sortir son deuxième manifeste cherche, quant à lui, à porter une parole qui soit à la fois politique et prophétique.
On n’en finirait pas d’égrainer les initiatives citoyennes qui visent, soit à participer à la délibération démocratique, soit à faire pression sur les gouvernements. La démocratie s’est, historiquement, nourrie des deux modes d’action, qui, dans une dialogique complexe a permis à chacun de se laisser interpellé par l’autre. Si l’on ne veut pas que ces deux forces s’annulent il faut tirer cette dialogique vers le haut, en redonnant de la force à une pensée utopique qui permet de visualiser un des moteur de l’engagement : la poursuite d’un idéal.
Premier jet, Paris, le 19 mars 2020, 3ème jour du confinement.
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