Faut-il soumettre la reconnaissance des médicaments ou des vaccins a un référendum d’initiative populaire ?
On pourrait le croire quand on voit le succès d’une pétition lancé par un ancien ministre de la santé en mal de publicité pour élargir l’utilisation de hydroxy-chloroquine (HCQ) contre le coronavirus et qui a recueilli plus de 400 000 signatures en quatre jours, ou par l’initiative de l’Ifop de sonder les français sur leur opinion sur la question. Soyons clair, je ne conteste à aucun des signataires, parmi lesquels j’ai d’ailleurs quelques amis, le droit d’exprimer leur avis politico-médical dans la polémique qui oppose partisans et adversaires du professeur Raoult.
Non ce qui m’inquiète c’est la tentation de faire trancher par l’opinion une question complexe et qui devrait relever de procédures d’évaluations scientifiques. C’est oublier le précepte, fort peu démocratique, de Descartes : « La pluralité des voix n’est pas une preuve qui vaille rien pour les vérités un peu malaisées à découvrir, à cause qu’il est bien plus vraisemblable qu’un homme seul les ait rencontrées que tout un peuple. ». Imagine-t-on de régler par sondage ou par référendum la question débattue de l’obligation vaccinale ou du remboursement de l’homéopathie, au moment où les infox et les théories du complot mettent à mal les capacités rationnelles de l’opinion .
D’ailleurs, quand on analyse les résultats du sondage de l’Ifop on en apprend plus sur les partisans de l’hydroxychloroqine que sur celle-ci : la molécule est un bon marqueur du populisme, séduisant davantage les partisans de LFI (80%) et du RN (66%), et les gilets jaunes (80%) que la population générale (59%), comme de l’impact du complotisme (66% de ceux qui pensent que le virus a été créé en laboratoire).
Pour autant, on voit bien aussi que les procédures traditionnelles d’évaluation des médicaments ne sont plus adaptées et les erreurs, et même parfois les fraudes, auxquelles elles ont pu conduire ont entamé leur crédibilité dans l’esprit public. Elles reposent sur un modèle simpliste qui vise à mesurer, « en double aveugle », l’effet d’un produit sur une pathologie : c’est oublier que l’action d’un médicament est un phénomène complexe, qui interagit avec un patient, avec de multiples effets souvent inattendus, qu’on ne peut ramener à une simple relation de cause à effet.
C’est ce qui m’avait conduit, en 2004, à créer avec la DGS, l’Inserm et l’Afsaps, un groupement d’intérêt scientifique pour généraliser, en utilisant les bases de données de l’assurance maladie, les études dite « post-amm », qui visaient à identifier les effets du médicaments dans « la vraie vie ». Pour des raisons que j’ignore, ce GIS a disparu après mon départ de la Cnam. On espère que le nouveau GIS Epi-Phare, créé il y a un peu plus d’un an par la Cnamts et l’ANSM permettra de rattraper le temps perdu pendant quinze ans.
Je ne comprends pas pourquoi en tous cas on n’utilise pas davantage les « données massives », qui sont beaucoup plus riches qu’il y a quinze ans, pour vérifier, avec des méthodes de traitement qui se sont également perfectionnées, les effets, en conditions réelles d’utilisation, des différents produits thérapeutiques : on pourrait, beaucoup plus rapidement, mesurer des effets inattendues, positifs, parfois, ou négatifs, aussi, de tel ou tel usage. Ce pourrait être le cas du HCQ, qui est un produit ancien, dont on pourrait facilement connaître les effets dans les utilisations traditionnelles, et qui pourrait également être suivi dans ses nouveaux usages, avec au passage l’accord et la participation des patients concernés. Ce qui permettrait, en même temps, leur participation citoyenne à l’amélioration des connaissances.
Paris, Croulebarbe, mardi 7 avril 2020.
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