Philippe Frémeaux nous a quittés dans la nuit du dimanche au lundi 3 août. Philippe était d’abord un ami et de cela n’est pas encore venu le temps de parler. Mais c’était aussi un compagnon de route exigeant et inventif sur les terrains de l’écolonomie et du social ; un compagnon de route qui m’a aidé à ne pas me laisser dominer par l’hégémonie idéologique des thèses néo-libérales qui ont de plus en plus colonisé les esprits de la « haute administration ».
Philippe Frémeaux :
l’information économique et sociale au service de la démocratie.
Philippe était convaincu que les politiques économiques et sociales devaient pouvoir faire l’objet, aussi, de ce débat public qui est une des conditions de la démocratie. C’est ce qui l’avait conduit à s’engager dans le projet d’Alter Eco. C’est aussi ce qui l’avait conduit à porter le projet de revue « L’économie politique » au sein de l’association des lecteurs, ou à adhérer spontanément au projet de développement de « Santé et travail », menacée par des manœuvres d’appareil au sein de la Mutualité Française quand j’en étais le directeur général, ou encore à reprendre le journal des cathos tiers-mondistes, « Croissance des jeunes nations », pour créer « Alternatives internationales », qui, hélas, n’a pas survécu au rachat du groupe La Vie par Le Monde, ou encore de créer ce rendez-vous annuel, les « Journées de l’économie autrement », les JEA, à Dijon, le berceau historique d’Alter Eco.
C’est aussi cela qui l’avait conduit au projet d’un Institut pour le développement de l’information économique et sociale (Idies) : car si celui-ci a été lancé par une tribune qu’il a cosignée avec Camille Dorival, Dominique Méda et moi dans Les Échos, c’est lui qui en avait eu l’idée ; avec la conviction que les débats sur ces questions, trop souvent confisqués par les experts, devaient être éclairés par une information (et une formation) pluraliste, critique et pédagogique. Ce que nous avons exploré, sur sa proposition, depuis plus de dix ans sur les terrains des sources, de l’enseignement, des médias, et des rapports dans l’entreprise, ces dernières années en partenariat avec l’Institut Veblen, qu’il présidait.
Tout cela, à contre-courant d’un scientisme qui continue à caractériser les économistes patentés ; et pas seulement les économistes « main stream », ces économistes qui se partagent largement les prix Nobel, pardon, les « prix de la banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel ». Il était tout autant opposé à une vision dualiste de l’économie, n’étant prisonnier ni d’une école ni d’un camp. Ainsi, fondamentalement attaché à l’économie sociale, il ne lui épargnait ni ses critiques, ni la mise à jour de ses contradictions.
D’ailleurs, Philippe n’était pas un vrai économiste, même s’il pouvait débattre avec les meilleurs d’entre eux. A rebours des coupures disciplinaires, il ne séparait pas l’économique du social ou de l’environnemental. Je suis heureux que l’un de ses derniers papiers (peut-être le dernier) ait été celui que je lui ai demandé pour Témoignage Chrétien, où il critiquait avec une radicalité bienvenue, le concept valise de « croissance verte ». C’était la dernière fois que nous avons échangé sur une question tout à la fois économique (mais aussi écologique et sociale) et politique : celle de la mesure et de la valeur de la production, avec ce faux ami du PIB, et cette fausse évidence qui en est le corolaire : la croissance.
Sur le chemin de Péguy, 6 août 2020.
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