C’est aujourd’hui le jour du dépassement. Pour la première fois, ou presque, depuis que l’ONG Global Footprint Network calcule cette date, il tombe plus tard que l’année précédente ; de trois semaines. Tout a été dit ou presque sur le fait qu’une hirondelle virale ne fait pas un printemps écologique, et que cette « décroissance » forcée par le confinement n’anticipe en rien le modèle de développement qu’il faudrait mettre en place pour inverser la tendance à la surexploitation des ressources de la planète.
C’est en effet la question essentielle révélée par ce calcul auquel on n’attribue en général qu’une portée symbolique. C’est aussi le dernier sujet que j’ai évoqué, avant sa mort, avec Philippe Frémeaux, à l’occasion de l’article-interview qu’il a donné à ma demande à Témoignage Chrétien. Comme il l’explique très bien, derrière l’expression de « croissance verte » ou de « décroissance », il y a le PIB et les conventions sur lesquelles repose le calcul de cet indicateur supposé refléter la richesse et même, pour certains, le bien-être.
Nous avions, sur ce sujet, un petit différent : non sur la critique du PIB, et du concept de croissance qu’il cherche à mesurer, que nous partagions totalement ; mais sur la possibilité de lui substituer un indicateur qui intègre les dégâts sociaux et surtout environnementaux de la croissance. Pour lui, et je ne crois pas déformer sa pensée, il fallait contester le PIB et lui substituer des indicateurs de richesse plus « qualitatifs », seuls capables de rendre compte de la complexité des effets environnementaux de notre modèle économique. C’est ce qui nous avait fait soutenir l’initiative de la loi Sas du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, loi qui n’est hélas plus appliquée depuis 2017 (et nous souhaitions prendre une initiative à ce sujet), et, sous le titre « De nouvelles finalités pour l’économie », à consacrer le rapport Idies de 2015 à l’enjeu des nouveaux indicateurs de richesse.
Bien sûr, je partage cette volonté de remise en cause de la dictature du PIB, et d’avoir d’autres critères qui reflètent mieux les finalités de l’économie. Mais je crois aussi qu’il ne faut pas renoncer à internaliser dans le calcul économique les coûts sociaux et environnementaux de la production, de la consommation et de l’échange. C’est ce qui m’avait conduit à proposer sur ce blogue de substituer au PIB un produit intérieur net de la consommation de facteurs environnementaux de production, qui permettrait que l’indicateur central de pilotage des politiques économiques, et qui fixe donc le cadre des politiques publiques, rende compte de l’appauvrissement que révèle chaque année le caractère de plus en plus précoce du jour du dépassement.
Bien sûr un tel calcul reposera, comme celui du jour du dépassement, mais aussi comme celui du PIB, sur des conventions. Bien sûr cet indicateur ne pourra rendre compte de la totalité des effets de nos modes de vie, et cette nouvelle variable, comme le PIB d’aujourd’hui, résultera d’un calcul qui modélise très imparfaitement une société qu’on ne pourra jamais vraiment mettre totalement en équation. Mais il constituerait une approximation chiffrée qui se substituerait utilement à une autre approximation, le PIB actuel, qui s’éloigne de plus en plus de la réalité.
Nous n’avons pas pu poursuivre notre échange, mais nous avions décidé de relancer les travaux de l’Idies sur ce sujet. C’est ce que je proposerai à la prochaine assemblée générale de l’Idies, que nous organiserons à la rentrée.
Paris, Croulebarbe, le 22 août 2020.
Monsieur LENOIR,
je suis votre blog depuis quelques mois et vous remercie pour les nombreuses et riches réflexions et articles
qui le compose . C’est toujours clair, très bien analysé et dense quant au sens qu’il y a en en tirer sur tous les
sujets . J’apprends que dans le cadre de votre parcours déjà très dense vous assurez désormais la
présidence de Démocratie et spiritualité(je l’écris avec un s ). quel belle association que l’on voit rarement et
quel champ de pensée et d’approfondissement de notre bien commun qu’est la démocratie française et ses spiritualités.
je continuerai à vous lire et échanger.
Avec mon meilleur souvenir de votre parcours dans la santé quand vous étiez DG ARS du Nord pas de Calais .
Très cordialement
Pierre PAMART ancien Directeur d’hopital