« Le soleil ni la mort ne peuvent se regarder en face » (François de la Rochefoucauld)[1]
La mort : le retour.
La mort a fait un retour dans nos vies à l’occasion de la crise de la covid. Non qu’elle avait disparu. Mais nous avions pris l’habitude de la mettre à distance. Au point de l’euphémiser en parlant de fin de vie, comme on dit non-voyant plutôt qu’aveugle, ou malentendant plutôt que sourd. Pourtant la fin de vie n’est pas la mort, elle en est l’antichambre ; une antichambre qui prend de plus en plus souvent la forme de la chambre d’un Ehpad puis d’un hôpital où, sous l’effet conjugué du vieillissement et des possibilités accrues de prolonger la vie, l’on séjourne de plus en plus longtemps. La fin de vie est devenue une nouvelle étape de la vie, obligeant le médical et le social à s’adapter, à accompagner la dépendance et ses handicaps liés à l’âge, à développer des soins palliatifs qui n’ont pas vocation à guérir mais à limiter la souffrance, et obligeant le législateur et les tribunaux à ouvrir une nouvelle branche du droit. Avec, comme pour le début de la vie, des questions inédites sur l’articulation entre ce droit et une éthique qui doit l’inspirer dans son application.
La mort elle n’a pas changé de statut juridique. Elle reste aussi la première question spirituelle de l’humanité et le culte des morts est souvent considéré comme l’entrée de l’humanité dans l’âge spirituel. Mais la question spirituelle reste-t-elle la même avec cette longue phase de fin de vie qui sera désormais le lot de la plupart d’entre nous ? Ne faudra-t-il pas compléter le célèbre « philosopher, c’est apprendre à mourir », par un « la spiritualité, c’est apprendre à vieillir ». C’est un nouveau chantier dans notre quête de l’esperluette que nous ouvrons avec cette lettre, pour apporter sur ces questions nouvelles notre double regard, de façon à ce que les évolutions éthiques et juridiques puissent s’enraciner dans des débats démocratiques adaptés, y compris aux questions spirituelles qu’elles soulèvent.
La mort vient de refaire retour dans nos vies avec la décapitation d’un professeur d’histoire, Samuel Paty, à Conflans Sainte Honorine, illustrant le potentiel de violence que recèlent les convictions religieuses, quand elles se dégradent en idéologies mortifères. Et l’histoire nous a appris qu’aucune conviction, y compris l’athéisme, n’est à l’abri de ce risque de dérive violente. Dans un pays qui conserve au fin fonds de sa mémoire collective, le souvenir douloureux des guerres de religion, nous pensions avoir éliminé, notamment avec le principe de laïcité, cette forme de mort violente. La laïcité, une autre branche du droit, qui est aujourd’hui confrontée à de nouvelles questions auxquelles il nous faudra répondre. Le principe constitutionnel de « laïcité » a permis, sur la question religieuse, d’articuler « liberté » de religion, « égalité » entre les religions, et aspiration à la « fraternité » entre ceux qui croient au ciel, dans leurs diverses façons d’y croire, et ceux qui n’y croient pas.
C’est probablement sur ce dernier terrain que notre contribution est la plus nécessaire. Car la laïcité, principe juridique de neutralité de la République et de prévention des conflits interreligieux, n’y suffira pas. Faire dialoguer les spiritualités entre elles n’est pas l’affaire de la laïcité. Mais si ce dialogue n’existe pas on peut craindre que s’y substitue des affrontements face auxquels le rempart de la laïcité ne résistera pas longtemps.
Dans les deux cas, la mort fait retour dans nos vies dans des médias et sur des réseaux sociaux sur qui le soleil ne se couche plus. Information, ou infox, en continu, et réactivité exacerbée rendent difficile sur ces sujets le débat, et donc la délibération démocratique, et conduisent aussi à la violence extrême. Il n’est plus non plus de place, plus de temps pour la réflexion, pour la méditation, et l’écoute des arguments de l’autre. Le potentiel pacificateur de la démocratie, comme celui de la laïcité ou de l’éthique, se dissout dans l’émotion des groupes, des communautés ou des foules. Le peuple n’est plus dans le peuple quand il n’est plus inspiré ; et, quand il est partout, il n’est nulle part.
[1] Expression reprise par André Comte-Sponville dans « Le sexe ni la mort ne peuvent se regarder en face »
« l’histoire nous a appris qu’aucune conviction, y compris l’athéisme, n’est à l’abri de ce risque de dérive violente ». Phrase politiquement correcte typique, où tout s’équivaut. Sont visés d’abord et avant tout le stalinisme et le maoïsme représentant bien sûr les archétypes de l’athéisme. Alors qu’il crève les yeux que c’étaient au contraire des archétypes de religions. Étudiant dans les années 1970, j’avais un ami qui était passé au maoïsme. Il me montrait des brochures maoïstes destinées aux enfants et je n’en revenais pas. Je ne cessais de lui répéter : « Mais comment ne vois-tu pas que ce sont des catéchismes, comme le Petit Livre rouge ? » Ces brochures étaient exactement semblables à celles des Témoins de Jéhovah, avec le même type de dessins : des images pieuses. Inutile de dire que cet ami n’est pas resté maoïste longtemps. Un autre ami, alors catholique, était le dessinateur du journal maoïste français de l’époque L’Humanité rouge !
Totalement d’accord avec vous. J’ai connu les mêmes. L’athéisme d’État, ou si vous préférez le matérialisme tel que promu par le stalinisme et le maoïsme sont des formes de religions avec leurs dogmes, leurs rites, leur catéchisme, leur rejet de la démarche scientifique (cf. Lissenko), leur inquisition, leurs excommunications, leurs buchers, leurs saints, etc….. Je ne critique pas l’athéisme, mais sa dérive religieuse et totalitaire, comme je critique la dérive totalitaire de « la chrétienté » hier, ou de l’islamisme aujourd’hui.