Sur le fil

Assurance-maladie : un bouclier pour la santé (Un État providence pour le 21ème siècle, 6)

Depuis son origine, l’assurance maladie ne couvre pas la totalité du risque. Dès la loi de 1928, un dispositif de franchise a été institué avec le mal nommé « ticket modérateur », dispositif qui a été maintenu en 1945 quand l’ordonnance du 4 octobre créant la Sécurité sociale a intégré les assurances sociales dans le projet de futur système universel prévu par le CNR.
Mais le ticket modérateur n’est pas la seule cause de reste à charge pour l’assuré. Il faut y ajouter :
– le fait que le tarif de remboursement est inférieur au prix réel des soins, ce qui couvre aussi les dépassements d’honoraires que peuvent pratiquer certains médecins, notamment spécialistes.
– la « franchise » de 1 € institué par Jean Pierre Raffarin sur les consultations, puis sur les médicaments
Pour autant, et malgré les cris d’orfraie de ceux qui ont hurlé à la privatisation rampante de la sécurité sociale, la part prise en charge par l’assurance maladie est restée stable,  voire a même un peu augmenté, au cours des dernières décennie, les prise en charge à 100% au titre des affections de longue durée (ALD) venant compenser les déremboursements ou la croissance des dépenses non remboursées.
D’autre part ce reste à charge est en grande partie couvert par les couvertures complémentaires, mutuelles, et autres assurances, et la charge restant pour les ménages représentant moins de 7% de la dépense de soins.
Certains préconisent de supprimer ce ticket modérateur et que la Sécurité sociale assure un remboursement à 100%. C’est vrai que le ticket modérateur n’a jamais modéré grand chose, sauf en conduisant à une forme de non recours aux soins pour ceux pour qui il pèse trop sur leur budget. Il est pour une grande partie de la population, couvert par leur complémentaire santé (mutuelle, ou assurance ou encore institution de prévoyance[1]), sauf pour ceux qui n’en ont pas, notamment parce qu’ils n’en ont pas les moyens. C’est d’ailleurs ce qui a conduit les pouvoirs publics à créer la CMU complémentaire pour les plus pauvres, puis l’aide à la complémentaire santé pour ceux qui avaient des revenus un peu supérieur au seuil de bénéfice de la CMU, les deux ayant été remplacé par la complémentaire santé solidaire depuis le 1er janvier 2019. C’est aussi ce qui a conduit pour les risques les plus élevés en coût à garantir une prise en charge à 100% par la sécurité sociale, dans le cadre du dispositif dit des « affections de longue durée » (ALD).
La couverture complémentaire facultative a néanmoins plusieurs inconvénients lié à la situation de concurrence entre les opérateurs :
– les cotisations sont moins solidaires que celles payées pour l’assurance-maladie obligatoire
– la concurrence génère des coûts de prospection
– même s’il est limité, notamment en raison de la législation, le risque de sélection des risques
– l’application des règles de solvabilité du fait de leur caractère assurantiel (« solvency 2 ») a tendance a renchérir également le coût de ces couvertures.
Néanmoins une couverture de l’ensemble de ces dépenses par l’assurance maladie obligatoire conduirait à transférer prés de 30 milliards[2] de charges sur l’Ondam, et même 45 milliards, si l’on tient compte des dépenses qui restent à la charge des ménages [3], soit une marche d’escalier de plus de 20 % : si cela est en théorie possible, puisque la dépense de santé n’augmentera pas pour les ménages, cela paraît difficile à envisager, ne serait-ce que parce que cela conduirait à augmenter de plus de quatre points un taux de prélèvements obligatoires qui, avec 45% du PIB, est le plus élevé en Europe [4] ; de surcroît, il n’est pas impossible que la concurrence entre les assureurs puissent avoir des effets bénéfiques sur les coûts de certains segments du système de santé, à condition, bien sûr, d’une organisation qui permette de rogner sur les rentes de situation d’un secteur qui n’en manque pas.
En revanche le dispositif de gestion des reste à charge reste extrêmement injuste et cette injustice s’est accrue au cours des dernières décennies, avec les franchises Raffarin et avec les dépassements d’honoraires notamment. C’était l’idée, hélas oubliée, du bouclier sanitaire (proposé en référence au bouclier fiscal de Nicolas Sarkozy) par Martin Hirsch avec  Étienne Grass, à condition d’en changer le nom, et surtout que ce bouclier soit fixé en fonction du revenu, ce qui est aujourd’hui possible et le sera encore plus avec la mise en place du dispositif de l’allocation universelle de solidarité. A l’inverse de la critique qui lui avait été adressé, cela ne remet pas en cause la solidarité, car un reste à charge identique ne pèse pas de la même façon, quand on est malade, selon que l’on est riche ou pauvre.
Cela conduira en revanche à redéfinir le rôle de la complémentaire santé en les incitant à se redéployer vers la prise en charge de dispositifs pour lesquels l’assurance maladie ne pourra pas suivre, comme les prothèses dentaires, les lunettes, ou les audio-prothèses, plus généralement les dispositifs médicaux pour lesquels un rapprochement entre les tarifs de remboursement et les prix réels, projet très ancien, n’est pas prêt d’advenir. Dans ce domaine, les complémentaires pourraient contribuer, par des dispositifs conventionnels, à réguler des marchés sur lesquels les rentes de situation sont légions.
Contrairement à ce qui a pu être dit, il n’est pas sûr que les complémentaires n’assurent plus un reste à charge plafonné, avec donc un risque limité pour les bénéficiaires. En revanche, cela les conduira à modifier leurs règles de tarification pour s’adapter à un risque qui n’est plus dépendant de l’âge, et donc d’atténuer le poids de  cette variable, mais du revenu, ce qui conduira à réintroduire de la solidarité dans leur tarification, en la faisant peser davantage sur les revenus. Par ailleurs, au moins à court terme, il paraît difficile de revenir sur les dépassements d’honoraires, et donc de les intégrer dans le calcul du reste à charge.
Pour ce qui concerne les mutuelles en particulier, cela les conduira sans aucun doute à revenir aux sources et à investir de nouveaux domaines, comme la mise en place de services permettant d’améliorer l’accès au soins, et dans la mutualisation des données massives (big data) en santé.
Premier jet : Paris-Croulebarbe, le 18 décembre 2020.
A suivre : l’assurance maladie couvre pour l’essentiel les soins, ce qui n’est qu’un des dimensions de la santé.
[1] Aujourd’hui le marché de l’assurance complémentaire, car c’est de plus en plus un marché, se répartit entre trois types d’opérateurs : les mutuelles, pour 51 %, et qui relèvent du code de la mutualité, et qu’il ne faut pas confondre avec les mutuelles d’assurance, les assurances, pour 30%, et qui, comme celles-ci relèvent du code des assurances, et les institutions de prévoyance, pour 18%, organismes paritaires qui relèvent elles du code de la sécurité sociales, dans la mesure où  elles gèrent aussi les retraites complémentaires (Agirc/Arrco).
[2] 29 milliards en 2017
[3] 6,9 % en 2019
[4] On voit là le caractère totalement conventionnel de la notion de prélèvement obligatoire, puisque les primes ou cotisations payées aux complémentaires, bien que presque généralisées (plus de 95% de la population) n’en sont pas dans la mesure où elles restent facultatives, alors qu’il s’agit d’une dépense contrainte, et le deviendraient si elles étaient transformées en cotisations ou en contributions sociales (avec au passage un meilleur rendement). cela explique aussi une grande partie de la différence de taux de prélèvement des États-Unis avec l’Europe, puisque les prélèvements pour l’assurance santé, qui sont pourtant plus couteux, restent des prélèvements facultatifs.

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