1,5 milliards pour régler la crise hospitalière. La somme est d’importance. Alors pourquoi ce sentiment que « le compte n’y est pas ». Pour comprendre ce que sont ces milliards supplémentaires, il faut revenir aux causes économiques de cette crise hospitalière, et au fameux Ondam, cet acronyme technocratique soudain apparu sur les banderoles, et qui a fait sa première apparition il y a un peu plus de 20 ans, dans les ordonnances Juppé.
Fixé chaque année depuis 1997 dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie n’est pas un budget (on ne va pas arrêter de soigner les patients en décembre s’il est déjà dépassé), mais une ardente obligation ; et les régulateurs du système utilisent tous les moyens à leur disposition pour qu’il soit respecté.
L’exercice mérite d’être expliqué. On fixe d’abord le montant souhaité de la dépense remboursée par l’assurance maladie (200,3 milliards en 2019) et donc son taux d’augmentation d’une année sur l’autre ; depuis quelques années, ce taux est fixé en dessous de 2,5 % (pour 2020 initialement à 2,3 %) en € courants (c’est vrai la dépense de santé ne diminue pas mais augmente chaque année), et à un niveau inférieur pour l’hôpital. On calcule ensuite l’évolution spontanée de la dépense, aujourd’hui comprise entre 4 et 5 %. Enfin, on prévoit, et c’est l’un des principaux objectifs du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, les mesures correctrices qui permettront de ramener le rythme des dépenses au taux souhaité, donc, schématiquement de le diviser par deux : ce sont les fameuses « économies », qui n’en sont pas vraiment, puisqu’elles sont faites sur ce qu’aurait été la dépense si on n’avait rien fait.
Contre toute attente, ça a marché, et on a réussi, progressivement d’abord à respecter le taux de croissance de l’Ondam, puis à le réduire de façon à le rendre compatible avec le rythme de croissance de l’économie : à tel point qu’on espérait ramener à zéro le déficit de l’assurance maladie. Et cela sans réduire la part des soins pris en charge par la Sécurité sociale.
Le problème, c’est que le système atteint probablement sa limite et en tous cas a conduit à exercer une pression économique considérable sur l’hôpital, ce qui est en grande partie à l’origine de la crise actuelle. Car pour atteindre ce résultat, l’État et l’assurance maladie ont joué sur les variables les plus faciles à manipuler. Ainsi, on a privilégié la baisse des prix des médicaments sur l’optimisation de la prescription, ce qui nous donne le privilège d’avoir les prix les plus bas d’Europe et les ordonnances les plus longues (ce qui est une des causes de la pénurie actuelle). Il en est de même pour l’hôpital public, dont la plupart des variables sont, comme le prix des médicaments, à la main des pouvoirs publics.
Ainsi les budgets hospitaliers ont été fixés de façon à être compatibles avec l’Ondam, les tarifs, la fameuse TAA n’ont pas été revalorisés comme ils auraient dû l’être et les salaires des hospitaliers ont moins évolué encore que ceux des autres fonctionnaires : résultats, les établissements ont eu tendance à multiplier les actes pour maintenir leurs ressources, les rémunérations du public se sont dégradées par rapport au privé, et le déficit des hôpitaux s’est accru, et avec lui un endettement qui ne vise pas seulement à financer les investissements, mais constitue une sorte de dette sociale cachée. Sans compter que les réformes structurelles régulièrement annoncées, et notamment le « virage ambulatoire » qui devrait alléger une partie de la charge pesant sur l’hôpital, n’ont pas eu l’effet escompté, comme l’illustre la crise des urgences.
Il est malheureusement peu probable que le nouveau plan hôpital permette de compenser les effets de long terme de cette pression économique excessive. Le fameux « milliard cinq » n’est que l’effet cumulé sur trois ans de l’atténuation de la pression sur l’Ondam. Avec, en contrepartie, le recul de l’horizon de l’équilibre. Les primes ciblées ne compenseront que très partiellement le décrochage des salaires des soignants, avec comme conséquence la fuite des médecins vers un privé où il est plus facile de pratiquer des dépassements d’honoraires, des difficultés croissantes pour recruter infirmières et aide soignantes, et des résistances pour un système de retraite dont les points seront acquis sur des salaires trop faibles. Et la reprise, sur trois ans, d’un tiers de la dette des hôpitaux par l’État, si elle aura l’avantage de décharger les comptes d’une partie des charges financières (et peut-être de permettre de renégocier une partie des emprunts contractés à des taux d’intérêts élevés), ne permettra probablement pas de rétablir une capacité d’investissement qui a diminué depuis 2010. Or la solution à la crise passe par des investissements importants dans le système de santé, investissements qui devraient être davantage orientés dans l’immatériel qu’il ne l’était auparavant.
On peut ainsi tirer deux leçons macroéconomiques de cette crise hospitalière, qui valent pour l’ensemble des politiques sociales conduites par le gouvernement. On ne peut, en même temps, faire des économies tout de suite, et investir dans les économies de demain. On ne peut, en même temps, réduire les déficits, ce qui est indispensable, et baisser les prélèvements. A fortiori quand l’évolution des dépenses nécessiterait de les augmenter. Un problème de CM2 d’autrefois à expliquer aux français, quelle que soit la couleur de leur gilet : une baignoire ne peut se vider plus ne se remplit.
Paris, le 25 novembre 2019
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