Surprise à la lecture de la note de l’Insee du 3 novembre dernier : alors que les associations de solidarité annonçaient une augmentation d’un million du nombre de pauvres, du fait de la crise Covid le taux de pauvreté serait « resté stable en 2020 ». Un résultat tellement contrintuitif que Jean-Luc Tavernier, le directeur général de l’Institut, s’est fendu d’un billet de blogue pour en expliquer les raisons ; une note prudente mais qui aboutit toutefois à conclure que le constat « de stabilité ou quasi-stabilité du taux de pauvreté paraît fiable » ; ce après avoir analysé les éléments qui permettaient d’en douter ; et qui illustrent un phénomène bien connu des statisticiens, par exemple sur l’inflation : un ressenti largement partagé dans la population ne fait pas une vérité statistique telle qu’elle peut-être appréhendée par des chiffres.
On ne va évidemment pas se plaindre de ce que le constat sincère mais alarmiste des associations caritatives soit démenti par les faits et on ne peut que se réjouir que le « quoiqu’il en coûte » n’ai pas bénéficié qu’aux entreprises et à leurs salariés, mais aussi aux plus précaires. Toutefois, et cela explique la tonalité prudente du commentaire du DG de l’Insee, ce constat optimiste pourrait se voir lui aussi relativisé dans un an quand on on aura les résultats définitifs. En effet l’étude de l’Insee ne s’appuie pas sur des données 2020, mais sur des données 2019 retraitées par des modèles dit de « microsimulation » qui permettent d’anticiper l’impact des mesures prises en 2020 : or, outre le fait que le fameux « pognon de dingue » consacré aux minima sociaux (notamment le RSA et l’allocation de solidarité spécifique (ASS) pour les chômeurs en fin de droit dont le nombre de bénéficiaires a augmenté de l’ordre de 10 % du fait de la crise Covid), a joué son rôle d’amortisseur, les bénéficiaires du RSA et de l’ASS ainsi que les étudiants pauvres ont bénéficié en 2020 de mesures ponctuelles qui ont été intégrées dans les simulations. Mais l’impact réel de ces mesures pourrait se révéler inférieur à ce que prévoient les projections des modèles et le nombre de pauvres pourrait donc avoir augmenté plus que ce qu’en dit l’Insee, même s’il est hautement improbable que le chiffre atteigne le million de pauvres supplémentaires.
Surtout, et c’est probablement ce qui explique le ressenti des associations de solidarité, si il n’y a probablement pas beaucoup plus de pauvres au sens statistique, les pauvres le sont surement davantage : dans le langage des statisticiens le taux de pauvreté serait stable, mais son intensité pourrait avoir augmenté. Ce que confirme la progression significative de l’aide alimentaire en 2020 (+ 7 % de bénéficiaires et + 11 % en volume). Il faut bien voir que le taux de pauvreté mesure la pauvreté monétaire (et pas ce qu’on appelle la pauvreté en conditions de vie), qu’il n’intègre pas un certain nombre d’invisibles (SDF, étudiants en Cité U, résidents en Ehpad ou détenus par exemple) et qu’il ne prend en compte que les revenus déclarés mais, par définition, pas les revenus informels qui ont pu diminuer beaucoup plus que les premiers.
Enfin même stabilisé, le taux de pauvreté reste, à 14,6 %, à un niveau beaucoup plus élevé que ce qu’il était au début des années 2000 (12,7 % en 2004), et a même dépassé le niveau atteint à la fin des années Saokozy (14,3 %), annulant d’ailleurs l’effort réalisé au début du quinquennat Hollande. A cet égard, les mesures ponctuelles de 2020 n’ont pas été reconduites en 2021, et donc leur effet sur la stabilisation du taux de pauvreté disparaîtront cette année. Et 2022 verra l’impact sur la pauvreté de la réforme de l’assurance chômage, impact qui ne devrait pas être compensé par un plan « pauvreté » en panne, une panne dont l’abandon du projet de revenu d’engagement pour les jeunes sans emploi et sans formation au profit d’un contrat d’engagement à l’impact beaucoup plus restreint n’est que le dernier avatar.
Paris, Croulebarbe, le 8 novembre 2021
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