Quelle différence y a-t-il entre assassiner dans la rue un homme, fut-il préfet, de deux balles dans le dos, et égorger un autre homme, fut-il prêtre, dans une église ? Si n’étaient en jeu des vies humaines, y compris la sienne, on aurait envie de parler, à propos de la mort d’Yvan Colonna, d’arroseur arrosé. Il est bien sûr inadmissible qu’il ait été lui même, dans sa prison, victime du terrorisme islamiste et normal qu’on recherche les responsabilités de l’administration pénitentiaire, et derrière elle celle des pouvoirs publics, dans ce manquement à l’obligation de protection des personnes « mises sous main de justice ». Mais il serait aussi normal de nous interroger à cette occasion sur la condition carcérale pour laquelle la France a été régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, et surtout sur cette curieuse attitude qui consiste à refermer la porte de la prison, avec ceux qui y sont condamnés, sur les questions que révèlent leurs crimes ou leurs délits et qu’on préfère ne plus voir et, par voie de conséquence, ne pas gérer.
Pour autant, qu’Yvan Colonna ait été l’une des victimes du terrorisme islamiste n’en fait pas pour autant un héros ; en tous cas moins que l’adjudant Imad Ibn Ziaten, le colonel Arnaud Bertrame, qui sont morts au service de la République, ou les journalistes de Charlie Hebdo, au service de la liberté d’expression, ou encore les élèves de l’école juive d’Ozar Hatorah, les spectateurs du Bataclan, ou les victimes des attentats de Nice. Et qu’on ait pour sa dépouille et sa mémoire le respect dû aux morts n’obligeai pas à rendre en Corse une forme « d’hommage national » à une personne condamnée pour acte terroriste sur un représentant de la République. Que l’on sache, la Corse, qui a été libérée dès 1943 du joug fasciste et nazi -en grande partie par des goumiers marocains qui pour certains y ont perdu la vie- n’est considéré ni comme une colonie, ni a fortiori, comme un territoire occupé.
En revanche, on ne peut qu’être étonné par l’attitude de l’exécutif qui a attendu ces manifestations violentes de soutien à Yvan Colonna pour ouvrir la porte, à quelques semaines des élections, sur la question de l’autonomie de l’île, alors que les Corses ont, de scrutins en scrutins, renforcé la majorité dont disposent ceux qui en sont partisans au sein de la collectivité régionale : à préférer, sur la défensive, écouter les violences de la rue plus que le suffrage universel on finit par donner raison aux extrémistes et à favoriser leur radicalisation.
Orsay, La Clarté-Dieu, le 27 mars 2022.
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