Le Pacte civique a produit une note « Trois blocs, deux France » qui devrait être publiée prochainement, avec un certain nombre de commentaires. Je publie ici celui que j’en ai fait pour ma part, à la demande de Jacky Richard, l’un des deux coanimateurs du Pacte civique.
1. Je voudrais d’abord nuancer l’idée de tripartition de l’opinion, et de sa répartition en trois blocs politiques : « un pôle central émerge avec 27,6 % des voix pour E. Macron, encadré par deux blocs protestataires : à sa droite, le Rassemblement national de M. Le Pen (23,41 %) et à sa gauche, La France insoumise de J-L Mélenchon (21,95 %) ». Nuancer ne signifie pas contester, mais relativiser.
D’abord cette tripartition est le résultat d’une construction voulue et construite depuis sa première élection, avec beaucoup de talent, par Emmanuel Macron, qui a réussi à reconstituer la troisième force de la quatrième République.
Ensuite, ces blocs ne sont pas stables selon les scrutins : la gauche de gouvernement et la droite républicaine ont maintenu leur implantation aux élections locales, où les écolo ont renforcé la leur, comme d’ailleurs aux européennes. Il y a une forme de déconnexion entre les différents scrutins qui illustre la perte d’influence des partis traditionnels.
Enfin il s’agit plus de nuages que de blocs : ce qu’illustre les ambiguïtés de l’accord de la Nupes, mais aussi le « en même temps » macronien et sa plasticité, comme encore la tension au sein de l’extrême droite, entre populistes et conservateurs.
Sur ce point, il faudrait, je crois, développer davantage le ciment idéologique de ces « blocs », le bloc central ayant hérité du surmoi néolibéral qui a colonisé les esprits des élites, de droite et de gauche, sous l’influence de la Société du Mont Pélerin, hégémonie contestée de plus en plus par un bloc de droite radicalisé qui s’est organisé autour des idées développée par le Club de l’horloge dans les années soixante-dix. Ce qui frappe, c’est que la gauche a laissé de côté ce travail idéologique, et ce qui déçoit c’est que la pensée écologique qui aurait pu en fournir les fondements s’est sclérosée dans des débats byzantins.
2. Je me retrouve largement dans l’analyse de l’abstention qui est faite par le Pacte civique : contrairement à ceux qui pensent que « les abstentionnistes constituent un bloc à part entière et dessinent une France spécifique », constituant, en quelque sorte le premier parti de France, pour moi aussi « l’abstention est le symptôme d’un mal profond, d’une défiance envers toutes les formes d’institutions (et) ne constitue en aucun cas le principe actif d’un rassemblement de volontés tournées vers un projet commun pensé, désiré et construit ».
Cette abstention est un symptôme d’une forme d’épuisement qui touche les démocraties libérales, et la notre plus que les autres. Le diagnostic de cette maladie de la démocratie me semble devoir être une des priorités de nos travaux.
3. Je voudrais également nuancer l’idée qu’avec « l’archipel français » on assiste à la fin d’une France unitaire : « En quelques décennies, la France n’a plus rien à voir avec la nation une et indivisible formée dans la matrice de l’école et de la République avec un référentiel culturel très majoritairement partagé ». Cette France unitaire a-t-elle jamais existé, sauf dans quelques rares moments de grande unité nationale -et encore !- et n’est elle-pas l’idéalisation d’un passé pourtant marqué par des conflits politiques et sociaux, notamment une lutte des classes qui était très clivante et même parfois violente ?
« Deux France se font face », c’est vrai, même si, bien sûr, cette conclusion est un peu schématique ; mais là aussi est-ce si nouveau ? Ce qui me semble plus inquiétant, c’est que les sphères d’expression de ces deux France sont de plus en plus disjointes : d’un côté les réseaux sociaux et les ronds-points, de l’autre les discours officiels et les médias traditionnels.
4. Sur les quatre conclusions que le Pacte civique tire pour « retisser la France » et que je partage largement :
- la nécessité de revoir nos méthodes démocratiques de débat et de décision ;
- débattre autant des valeurs qui doivent animer la société que des instruments de mise en œuvre des
politiques, et promouvoir vigoureusement, à tous les étages, la sobriété et la fraternité ; - travailler sur une réforme progressive mais ardente des règles de fonctionnement de l’économie de
marché actuelle, trop soumise à la recherche excessive de rendements financiers, et insuffisamment
tournée vers le bien être des personnes et la préservation des équilibres naturels. - soutenir des expériences concrètes11 qui démontrent ici et maintenant que d’autres agencements
sociaux sont désirables et possibles ;
je réagirai volontiers sur la 2ème.
Pour ma part je pense que cela va au-delà des valeurs, mais, sans parler de spiritualité, pose la question de l’éthique du pouvoir. A cet égard, il me semble moins important de débattre des valeurs que de voir comment elles peuvent inspirer une éthique de la responsabilité qui s’articule avec l’éthique de conviction, au lieu de dériver vers une forme de machiavélisme.
Paris, Croulebarbe, le 28 mai 2022.
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