« Pourquoi la démocratie a besoin de la religion » c’est le titre du dernier livre d’Hartmut Rosa qui reprend les propos d’une conférence « donnée à une Rencontre diocésaine de Würzburg en 2022 ».
Il a d’abord le grand avantage de résumer les deux thèses principales de l’auteur développées depuis une vingtaine d’année dans plusieurs ouvrages :
- Notre société est entrée dans un mouvement d’accélération permanente, ce que l’auteur appelle « l’immobilité fulgurante » ou son préfacier Charles Taylor « la stabilisation dynamique », qui s’autoentretient, mais n’est pas (plus) tenable : « Nous dansons de plus en plus vite, simplement pour rester en place ». La traduction économique en est la croissance, dont le diagnostic de l’auteur a l’avantage de nous rappeler qu’en termes mathématiques elle ne s’assimile pas à une vitesse (si nous avancions à la même vitesse la croissance serait égale à zéro) mais à une accélération (ce qu’on appelle la dérivé seconde, et l’on sait qu’on ne peut pas accélérer indéfiniment). Il s’agit au sens le plus profond du terme d’une forme d’aliénation : « L’aliénation par rapport au monde et l’aliénation par rapport à soi ne sont pas deux choses séparées mais simplement les deux faces de la même pièce. Elle persiste lorsque les « axes de résonance » entre l’être et le monde deviennent silencieux. »
- « Si le problème est l’accélération, alors la résonance est peut-être la solution ». Pour arrêter cette accélération mortifère il fait l’hypothèse qu’il nous faut (re)développer la résonance avec le monde et en soi-même.
Deux thèses qu’il applique aux deux pôles de sa réflexion :
- La démocratie d’abord : c’est de cette résonance, plus que de décroissance ou même de décélération dont a besoin la démocratie, « le credo de notre société », mais qui « exige des voix, des oreilles et des cœurs qui écoutent ».
- La religion, ensuite : et je dois dire qu’en revanche je n’ai pas été totalement convaincu quand il répond oui à « la question de savoir si la société d’aujourd’hui a encore besoin de l’Eglise ou de la religion« . Certes « la religion est une force (qui) dispose d’un réservoir d’idées et d’un arsenal de rituels, avec ses chants, ses gestes, ses espaces, ses traditions et ses pratiques appropriées, qui permettent de sentir et de donner du sens à ce que veut dire être appelé, se laisser transformer, être en résonance. » Mais n’est-ce pas l’objectif des religions que d’enfermer dans des rites et des dogmes une résonnance « par nature indisponible ».
Pour moi ce qu’il vise par le terme « religion », ou « Eglise », c’est ce que je préfère appeler « spiritualité » et que Charles Taylor appelle dans sa préface en visant tant les croyants que les incroyants, « l’ouverture à l’interpellation, dans l’expérience de la résonance ».
Paris, Librairie Maruani-Croulebarbe, 21-22 octobre 2023
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