« Dans les premières heures qui ont suivi le 7 octobre certains ont voulu nous empêcher de pleurer, et certains ont voulu nous empêcher de réfléchir. Et c’est extrêmement dangereux pour un individu de l’empêcher de pleurer, de l’empêcher d’avoir de l’empathie pour des victimes d’atrocités. Et c’est extrêmement dangereux aussi d’empêcher nos consciences de réfléchir. Ce qui nous définit comme êtres humains, ce sont nos capacités à pleurer les morts et à réfléchir avec les vivants. Donc cette double interdiction dans les premières heures qui ont suivi, qui était aussi une double injonction, c’est-à-dire soit il ne faut faire que pleurer, soit il ne faut faire que réfléchir, expliquer, analyser et des causalités. Il faut tenir bon sur les deux piliers de nos consciences humaines, c’est-à-dire pleurer et réfléchir, alternativement. »
Vincent Lemire[1]
Cette longue citation de Vincent Lemire[2] me semble bien dire comment éviter le piège dans lequel nous risquons de nous laisser enfermer depuis le 7 octobre, avec, qu’elles soient sous le coup de l’émotion ou motivées par de sordides calculs politiques, des réactions largement déterminées par nos affinités électives.
Elle nous invite à une double attitude, qui relève à la fois de l’éthique de l’émotion (pleurer pour les victimes des deux côtés), et de l’éthique de la raison (pour comprendre les logiques à l’œuvre[3] seule façon d’éviter la folie meurtrière et de trouver des solutions durables), en miroir, en quelque sorte, de l’éthique de conviction et de l’éthique de responsabilité que nous essayons de faire dialoguer au sein de Démocratie & Spiritualité.
Cette double attitude, c’est la clé pour essayer de discerner dans le brouillard des attentats et des bombes, un chemin de justice et de vérité, de fraternité et de paix. Un chemin difficile à tracer et même à imaginer, tant la montée aux extrêmes de la violence barbare du terrorisme et de la vengeance d’Etat paraît nous en avoir plus que jamais éloigné : la recherche d’une solution juste pour chacun des peuples concernés n’a jamais paru aussi lointaine ; la vérité des faits est, comme toujours, la première victime de la guerre ; la haine a atteint un tel niveau que les ennemis ne sont plus capables de se reconnaitre comme frères et sœurs en humanité ; et la colombe de la paix semble avoir déserté cette terre pourtant considérée comme sainte par les trois religions monothéistes.
Ne pas oublier non plus que cette violence concerne bien d’autres terres que se disputent les humains et que la situation en Israël-Palestine ne saurait nous le faire oublier. « Tu ne tueras pas » : l’interdiction du meurtre présente dans toutes les traditions spirituelles nous rappelle que plus que la terre c’est la vie qui est sacrée. C’est tout à la fois la voie, et la voix, du cœur, et la voie, et la voix, de la raison.
Paris, le 9 novembre 2023
[1] Dans l’émission « Répliques » du 4 novembre produite par Alain Finkielkraut sur France Culture et intitulée « Israël, Palestine France, où en sommes-nous »
[2] Auteur de l’ « Histoire de Jérusalem » en bande dessinée (Les Arènes, 2022) dont nous avons rendu compte dans la lettre (https://www.democratieetspiritualite.org/2023/01/25/12l195-jerusalem-quatre-mille-ans-en-vignettes/) ainsi que de « Jérusalem, histoire d’une ville-monde des origines à nos jours » (Flammarion, 2016)
[3] Explications qui ne peuvent bien sûr tenir lieu de justification contrairement à l’aphorisme « Expliquer c’est déjà vouloir un peu excuser »
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