« Nous n’avons pas peur ». Rassurez vous, ce n’est pas le remake d’une wojtylesque injonction papale. C’est le cri non violent des femmes iraniennes qui sourdait ce mardi 7 mars, veille de la journée internationale des droits des femmes, à la Gaité lyrique, ce théâtre reconverti en centre culturel. Un cri précédé par un moment de silence en mémoire des femmes iraniennes assassinées, comme la kurde Jina Mahsa Amini dont le meurtre fut à l’origine du mouvement « Femmes, vie, liberté », ou encore torturées ou emprisonnées. « Toutes celles qui ont insisté sur la lutte non-violente ont également insisté sur l’acceptation de la souffrance. » affirme Nasrin Sotoudeh l’une des seize qui témoignent dans cet émouvant recueil publié aux Editions du Faubourg.
Seize iraniennes, vivant encore sous le régime des mollahs ou exilées de la diaspora : quinze traduites de l’allemand « Wir haben keine Angst ! Die mutigen Frauen Irans » éditée par Elisabeth Sandmann présente ce soir là, plus une, ajoutée par Sophie Caillat l’éditrice française ; l’actrice Golshifteh Farahani réfugiée en France et qui a joué Aïcha dans le film « Mensonges d’Etat » de Ridley Scott. Parmi elles deux prix Nobel de la paix, Shirin Ebadi, émigrée à Londres et Narges Mohammadi toujours en prison, ainsi que Nasrin Soutoudeh à qui a été décerné le Right Livelihood Award, le « prix Nobel alternatif ».
Actrice, avocate, calligraphe, chanteuse, comédienne, échéquiste, ingénieure, journaliste, juge, musicienne, photographe, psychothérapeute, chacune orne de sa photo la première page de la couverture, à l’exception des deux anonymes pour raison de sécurité, Ani et Leily. Des photos cheveux au vent, sans voile le plus souvent, le voile ce « mur de Berlin », symbole de l' »apartheid de genre » auquel sont soumises les femmes dans cet « Etat islamique fondé sur la misogynie, le mépris des femmes et le fanatisme religieux, qui voudrait étendre son modèle à travers le monde – et pour qui la liberté et la diversité religieuse sont des concepts étrangers ». « Mon corps , tout comme ma raison refusait le voile » dit Ghazal Abdollahi, ce tchador que de nombreuses baloutches ont brûlé, ce hijab « imposé par des coups de bâton, des peines d’emprisonnement ou la mort ».
Seize iraniennes, qui, perse, mais aussi kurde, baloutche, juive séfarade, yezidi, bahà’ie (« la minorité la plus discriminée d’Iran »), musulmane, sunnite ou chiite, croyantes ou non, ne veulent plus « se laisser (…) monter les un(e)s contre les autres », ni « les femmes contre les hommes », quelles que soient les ethnies ou les identités religieuse. « Cela ne marche plus » dit l’une d’elle. Mais toutes profondément iraniennes, retrouvant leur pays perdu pour celles qui sont en exil en Allemagne, en France, en Angleterre ou en Israël dans leurs langues, dans la cuisine , dans la poésie, dans cette culture multimillénaire
Un appel à une « politique de l’amour » qui a permis, pour reprendre l’expression de Pierre Haski seul homme à participer à cet hommage, à la « société iranienne de passer de la prudence au courage ».
« Jin, jiyan, Azadi » en kurde, un hymne féministe à la vie et à la liberté, une liberté qui n’est « ni occidentale ni orientale », mais « mondiale ». « La liberté c’est sentir à l’intérieur de soi qu’on n’a pas peur » c’est choisir de « risquer maintenant de mourir plutôt que de mourir toute la vie durant ». En appelant à « un état démocratique et laïc », ces seize femmes libres et vivantes nous donnent, en même temps, une belle leçon de laïcité, nous qui sommes parfois tentés d’en douter du sens et des vertus.
Paris Croulebarbe, le 8 mars 2024
Natalie Amiri, Dûzzen Tekkal « Nous n’avons pas peur : Le courage des femmes iraniennes », Editions du Faubourg, 2024
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