Je suis profondément heureux que le Nouveau Front Populaire, dont je soutiens la démarche depuis le dimanche 9 juin au soir, ait pu aboutir ce vendredi à un programme. Contrairement à de nombreux commentaires, celui-ci me semble réalisable. Je poursuis donc la démarche engagée depuis quelques jours avec mes modestes contributions aux mesures d’urgence et de rupture avec le néo-libéralisme en déclinant ce que pourrait être la mise en œuvre concrète de ce programme. Mon objectif n’est pas de me poser en donneur de leçons, mais d’utiliser mes compétences d’« ingénieur et gestionnaire » des politiques sociales pour montrer que ces propositions sont effectivement réalisables, ce qui engage ma responsabilité professionnelle, même si, évidemment, il faudra les financer, ce qui est faisable, à condition que l’on s’y prenne bien, et que l’on cadence les choses dans le temps.
Je commence par ce qui me paraît être la première priorité, avant même la question des retraites et même celle des prestations de solidarité : la santé et donc son financement, c’est à dire l’assurance maladie. Le programme prévoit une « grande loi santé » dont le contenu est juste esquissé ainsi que quelques autres projets, notamment des mesures d’urgences pour faire face à la crise hospitalière. Il faudra intégrer à cela, comme c’est d’ailleurs prévu, la mise en place effective de la couverture de la dépendance des personnes âgées ainsi que le développement des soins palliatifs de telle sorte que le droit de toute personne à avoir accès à ces soins soit garanti et que par voie de conséquence le vote d’une loi élargissant les possibilités de recourir à l’aide à mourir puisse être fait sans ambiguïté sur ses intentions.
Attention : Ce papier n’aborde pas un sujet essentiel, mais qui nécessite une politique de long terme et probablement un changement du cadre macro-économique de définition des politiques publiques (notamment la redéfinition de la notion de richesse) et qui fera l’objet d’un autre billet : la question de la mise en place d’une politique de santé social-écologique. Il s’inscrit dans le cadre macroéconomique actuel de la définition des politiques publiques, mais en rappelant que celui-ci est insuffisant pour réussir une nouvelle politique économique (souvenons nous de l’expérience de 1981) et qu’il faut aussi que dans chacun de ses segments de mise en œuvre, l’exécution soit adaptée aux spécificités du secteur, ici, et en l’espèce la santé (ce sera différents pour les retraites, le chômage, ou les prestations de solidarité, sur lesquelles je reviendrai. Dans ce cadre, plusieurs conditions sont nécessaires pour respecter le programme du Nouveau Front Populaire (et ses compléments évoqués ci-dessous) :
- D’abord fixer sur les trois années à venir un Ondam (objectif national des dépenses d’assurance maladie) dont le taux de croissance est supérieur d’un à deux points au taux de croissance du PIB (en valeur) -i.e. inverser la tendance par rapport à ce qui se fait, hors crise Covid depuis une quinzaine d’année- et séquencer les mesures en fonction des marges de manœuvres dégagées chaque année.
- Procéder à un nouveau transfert des déficits passés de l’assurance maladie à la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale), de façon à ce qu’ils ne pèsent pas sur l’assurance maladie et programmer à l’issue des trois ans une augmentation nette des recettes de l’assurance maladie de l’ordre de 10 milliards d’Euros, pour couvrir l’évolution de la tendance de la dépense sans augmenter le déficit. Une partie des mesures fiscales du programme, notamment la suppression de certaines exonérations et une progressivité (qui doit rester limitée) de la CSG devront être affectées en priorité à ces dépenses.
- Revenir à la doctrine d’une régulation médicalisée de la dépense de santé en s’appuyant sur un rapport annuel d’exécution de l’Ondam (le compte charges et produits) élaboré en dialogue avec une Haute autorité de santé (HAS) rénovée, et en abandonnant une régulation fondée principalement sur la contrainte budgétaire sur les hôpitaux, sur les rémunérations des soignants du public et du non lucratif, et sur le prix des médicaments (plutôt que sur la bonne prescription) sous le contrôle démocratique d’un Conseil de surveillance de la Cnam démocratique et représentatif des différentes parties prenantes.
- Utiliser en priorité les marges de manœuvres dégagées pour investir dans le règlement de la crise hospitalière, des urgences, de la psychiatrie, comme indiqué dans le programme du NFP, ainsi que dans le développement des soins palliatifs. Cela passe par une revalorisation programmée des rémunérations des soignants et évidemment un plan de recrutement. Cela passe aussi par des mesures d’urgence sur le financement des activités sous-rémunérés, en attendant une évolution structurelle du mode de financement de l’hôpital.
- Dans un deuxième temps, investir dans les Ehpad dans le cadre d’une couverture effective de la dépendance des personnes âgées, notamment en revalorisant les rémunérations des personnes qui assure leur accompagnement, et en augmentant le taux d’encadrement dans ces établissements pour le passer progressivement de 62% à 80 %.
- Mettre en place, avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) un fonds d’investissement dans les hôpitaux et les Ehpad publics ou relevant de l’économie sociale et solidaire, et plus généralement dans le secteur sanitaire et social, et, parallèlement, plafonner les profits que peuvent faire les groupes privés lucratifs dans ces secteurs.
- Suspendre l’application de la convention médicale en attendant la signature d’un avenant qui engage la médecine de proximité dans une nouvelle trajectoire, avec notamment des dispositions incitant les installations dans les déserts médicaux, et en interdisant le conventionnement dans les zones sur-denses.
- Une partie de la marge de manœuvre de l’Ondam devra également être consacrée à réinvestir dans la prévention, dans une logique d’investissement social, qui a diminué en valeur relative depuis plus de 15 ans.
- Pour mettre en œuvre ce programme il sera nécessaire de changer le directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie, l’actuel titulaire du poste ayant été un des principaux artisans de la politiques de régulation de la dépense depuis prés de 20 ans. Cela suppose de modifier la loi d’aout 2004 qui prévoit que le directeur de la Cnam, qui est nommé pour cinq ans, ne peut être écarté qu’avec l’accord d’une majorité des deux tiers du conseil de la Cnam (alors que, par une fausse dissymétrie, il ne peut s’opposer à la nomination d’un directeur qu’à la majorité des deux tiers) pour revenir à une majorité simple.
Annexe : Les dispositions du programme du NFP visant la santé.
Faire une grande loi santé
- Réguler l’installation des médecins dans les déserts médicaux et rétablir des permanences de soin des soignants libéraux dans les centres de santé.
Remarque : Outre les remarques ci-dessus, il faudra également, pour rétablir la permanence des soins, de réintroduire l’obligation dans le code de déontologie qu’avait supprimé Jean-François Mattei en 2003.
- Conditionner l’ouverture des cliniques privées à la participation à la permanence des soins et à la garantie d’un reste à charge zéro.
Remarque : Attention, pour garantir un reste à charge zéro dans les cliniques privées, il faut mettre fin aux dépassements d’honoraires qui ont fortement augmenté ces dernières années ; c’est possible mais cela suppose de revoir la convention médicale, ce qui aura nécessairement un coût.
- Engager un plan pluriannuel de recrutement des professionnels du soin et du médico-social (médecins, infirmiers, aides-soignants, personnels administratifs) et de revalorisation des métiers et des salaires.
Remarque : Voir ci-dessus. C’est effectivement une priorité absolue.
- Créer un pôle public du médicament avec renforcement des obligations de stocks.
Remarque : Au delà de cette disposition dont il faudra préciser les modalités, il faut définir une politique industrielle du médicament, intégrant un accord de revalorisation du prix des médicaments en France, dont les prix bas expliquent en partie la pénurie, en contrepartie d’un développement du bon usage, à l’exemple de la campagne « les antibiotiques, c’est pas automatique ! », permettant de diminuer les quantités en supprimant les mésusages.
• Interdire tous les polluants éternels (PFAS) pour toutes les utilisations, notamment les ustensiles de cuisine.
Remarque : Les sujets de santé environnementale sont essentiels et touchent de nombreux autres sujets. Ce devrait être un volet important de cette loi santé, voir une loi à part.
Autres mesures (hors outremer) :
- En urgence : Organiser une conférence de sauvetage de l’hôpital public afin d’éviter la saturation pendant l’été, proposer la revalorisation du travail de nuit et du week-end pour ses personnels.
- Remarque : Cela suppose que les mesures d’urgence, effectivement nécessaires, s’inscrivent dans une perspective pluriannuel.
- Accélérer la rénovation des bâtiments publics notamment des hôpitaux.
- Remarque : cela devra être intégré dans le plan d’investissement hospitalier et concerner également les établissements non lucratifs.
- Lancer un plan Grand âge en rénovant les EHPAD, en augmentant et en formant les professionnels du grand âge.
- Remarque : voir ci dessus l’objectif en termes de taux d’encadrement.
- Atteindre durant le mandat le très bon état écologique et chimique de tous les cours d’eau (fleuves, rivières, ruisseaux) et réserves souterraines et faire contribuer les industriels à la dépollution des nappes et des sols.
- Remarque : cela suppose de renforcer les moyens des ARS qui ont diminué depuis quinze ans pour renforcer la surveillance des eaux.
- Prendre en charge par la Sécurité sociale les protections menstruelles et sanctionner les fabricants qui ne respectent pas le contrôle sanitaire et la régulation des prix.
- Remarque : Cela suppose d’inscrire les protections menstruelles dans la liste des produits et prestations (LPP) remboursées par l’assurance maladie, qui, de façon générale mériterait une sérieuse actualisation.
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