Les spirituels ont souvent été de grands marcheurs. Les chasseurs cueilleurs sûrement marchaient beaucoup. Au néolithique l’homme devint un peu plus sédentaire. Il l’est, et de plus en plus, aujourd’hui : dans les villes bien sûr; mais dans les campagnes aussi. Un sédentaire voituré, automobile, qui a perdu le sens du temps, de la marche, de la lenteur. Quand on pense que l’un des plus importants mouvements sociaux des dernières années a démarré sur le refus de réduire la vitesse automobile de 10 km/h sur les routes de campagne : 80 km en une heure ce n’est pas vraiment la lenteur ; prés de 20h pour faire la même distance à pied.
Depuis le Covid, dès que je le peux, en ville, je me déplace à pied : avec mes bâtons de marche nordique je redécouvre l’habitat qui est le mien. La marche en montagne me remets en lien avec les forces telluriques dont nous sommes issus : les minéraux qui constituent notre corps et les fluides qui l’irriguent. La marche en forêt me fait ressentir les forces la vie en moi, m’irriguer avec la sève de la vie, avec cette aspiration à la vie. La marche au désert me place devant le vide, au plus profond de ma spiritualité apophatique. La montagne de la terre. La forêt de l’élan vital. La ville des humains. Le désert des forces de l’esprit.
En marchant je me mets au cœur du cosmos. En marchant je mets l’instant de chaque pas dans un temps reconnecté : entre l’instant et la durée, le temps. Le temps du cosmos. Le temps de la terre. Le temps de la vie. Le temps de l’humanité. L’instant d’éternité. Le temps de ma courte vie aussi : des premières marche en montagne à l’âge de six ans avec mon père, aux randonnées sur les chemins de Saint Jacques avec mes enfants jusque récemment. Le chemin récapitule cette extraordinaire aventure commencée il y a quelques 13 milliards d’année et dont je suis l’éphémère témoin.
Le chemin c’est le temps, c’est aussi la lumière. La lumière et ses multiples couleurs, du ciel, de la terre, de la vie : tout un nuancier en arc en ciel, des roches et du ciel, des plantes et des fleurs ; sans oublier le blanc et le noir, qui, quoiqu’on en ait dit, sont des couleurs aussi. Le blanc du quartz ou du feldspath, le blanc des fleurs blanches, le blanc des nuages quand il sont blancs. Mais aussi toutes leurs nuances de gris, jusqu’au noir. Le noir de la nuit, le noir sans pollution nocturne, sans pollution lumineuse. Le noir cosmique entre les étoiles. Le noir de cette nuit piquetée d’étoiles. Cette nuit angoissante et apaisante à la fois.
Le temps, la lumière, le chemin c’est aussi la matière : la terre d’abord, les cailloux, les rochers, le sable et la poussière, le sol et ses racines ; l’eau aussi. L’eau qui coule sur le chemin, en ruisseaux, en cascades. L’eau qui coule sur mon front, en transpiration. L’eau fraiche qui désaltère pendant les pauses ou à l’étape. L’eau de la douche qui coule sur mon corps nu et le détend, et s’évapore dans le vent rafraichissant. L’air, le souffle, le vent qui sèche l’eau de la douche et la sueur de la marche. Le souffle de ma respiration parfois haletante, parfois hésitante, dans les montées avec ce gaz carbonique que je rejette dans l’effort, dans la combustion des glucides. Le chemin c’est l’énergie aussi. L’énergie lente de l’effort continu. Celle qui me fait aligner un pas puis un autre. Celle qui me fait monter quand ça monte et qui me retient quand ça descend.
Le chemin c’est la vie surtout. Le sens de la vie, non pas dans la destination, mais dans le chemin lui-même.
Les Cabannes, le 19 juillet 2024.
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