« Tout est pardonné ». Plus que « Je suis Charlie » qui est malheureusement devenu signe de division après avoir été un signe d’unité et a, à force d’être utilisé pour d’autres victimes et d’autres causes, perdu de sa puissance, c’est peut-être cette couverture étonnante du numéro du 14 janvier de Charlie Hebdo, qu’il faut retenir à l’occasion du 10ème anniversaire des attentats de janvier 2015 ; la couverture de ce « numéro des survivants » quelques jours après la tuerie du 7 janvier, après l’assassinat d’une policière municipale d’origine martiniquaise le 8, après l’assassinat antisémite de quatre otages de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes le 9 ; trois jours après la grande marche du 11 janvier quand la France toute entière communiait dans les valeurs de la République : la liberté, notamment la liberté d’expression, l’égalité et la fraternité et leur corolaire, la laïcité.
Une couverture comme une mise en abime qui représente le prophète de l’islam affichant le panneau « Je suis Charlie » et surmonté de ce message de réconciliation, un message d’inspiration religieuse auquel on ne s’attendait pas de la part du journal satirique profondément anticlérical.
« Tout est pardonné ». Pardonné on l’aimerait, le soit disant blasphème, ce « crime imaginaire », celui pour lequel un certain Yeshoua, rabbi juif du premier siècle, Jésus, le messie pour les chrétien, ʿĪsā, l’avant dernier prophète pour les musulmans, fut condamné par le sanhédrin, le tribunal religieux du temple de Jérusalem. Ce blasphème, qui consiste en l’espèce à représenter le prophète, retourné contre les dénonciateurs criminels du blasphème.
« Tout est pardonné ». Pardonnés peut-être ces crimes contre les partisans de la liberté d’expression, ces crimes contre les policiers et les militaires, notamment ceux qui sont accusés de trahir l’islam comme Imad Ibn Ziaten et ses deux collègues, descendus trois ans auparavant par un autre djihadiste dont on aimerait que le nom tombe dans l’oubli, les crimes antisémites de l’école Ozar Hatorah au même moment comme ceux, en réplique, de l’Hyper Casher.
« Tout est pardonné ». On ne peut que constater dix ans après que l’appel fraternel de Charlie n’a pas été entendu. On a continué à vouloir assassiner pour blasphème, comme ce fut le cas récemment pour Salman Rushdie, ou en France avec la décapitation du professeur Samuel Paty ; ou même pour un voile mal ajusté, comme ce fut le cas en Iran pour Masha Amini. On a continué à assassiner pour antisémitisme, en France, et aussi le 7 octobre en Israël. Ces attentats, comme c’était le but des islamistes, et comme voulait l’éviter le message de fraternité de Charlie, ont accrus les réflexes islamophobes, avec là aussi des crimes contre les musulmans, comme en juin 2017 contre la mosquée de Finsbury Park à Londres ou en Christchurch en Nouvelle-Zélande. Et les musulmans sont aussi restés les principales victimes des la folie djihadiste. Finalement la loi du talion l’a emporté sur la loi du pardon, comme on l’a vu depuis prés de deux ans dans la bande de Gaza.
« Tout est pardonné » Ce message porte surement un idéal inatteignable, mais il nous invite à tenir cette « ligne de crête » de la laïcité de paix que nous appelons de nos vœux. Une paix qui nous invite, comme le fait le Mouvement pour une alternative non violente, à poursuivre ce travail qui vise à ne pas opposer la violence à la violence. Une paix qui passe non par l’oubli, ni même peut-être par un pardon empreint de naïveté, mais par ce que Desmond Tutu président la Commission « Vérité et réconciliation » en Afrique du Sud appelait l’Ubuntu, la conscience « qu’il ou elle a d’appartenir à quelque chose de plus grand (que soi) — et qu’il ou elle est diminué quand les autres sont diminués ou humiliés, quand les autres sont torturés ou opprimés ». Autrement dit la fraternité.
Paris, Croulebarbe, le 20 janvier 2025
Post-scriptum : comme quoi la représentation du prophète n’a pas toujours été interdite en islam.
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