Combien de ceux qui ont mis sur leur profil Facebook « Je suis Charlie » en janvier 2015, ont mis « Je suis musulman » après les attentats de Christchurch. Bien sûr, ils auraient pu préférer mettre « Je suis Christchurch ». Mais il n’y en a pas eu davantage. De fait, Christchurch est aux antipodes, en Nouvelle Zélande, et on peut voir dans cette distance vis à vis de ces attentats une des manifestations de la « loi du mort-kilomètre » qui fait que l’indignation est inversement proportionnelle à la distance qui nous sépare de l’événement qui la suscite. Et d’ailleurs les attentats antisémites de Pittsburgh n’ont guère suscité non plus un déchainement de solidarité sur les réseaux sociaux.
Bien sûr, il y a l’effet de lassitude, d’impuissance, attentats après attentats, de manifester son indignation sans qu’il y ai d’effet, sans que ça touche les auteurs potentiels de ces actes criminels. Bien sûr, il y a eu, en France et en Europe, de nombreuses réactions de solidarité, des réactions officielles des chefs d’Etat et de gouvernement, à la Tour Eiffel qui a été éteinte, des prières dans quelques paroisses à quelques manifestations d’ailleurs peu relayées par les médias, mais presque rien sur les réseaux sociaux qui sont aujourd’hui le baromètre de l’émotion populaire.
Bien sûr, surtout devrait-on dire, il y a eu la remarquable réaction de la société néo-zélandaise, portée par la Première ministre, réaction qui ne l’a d’ailleurs pas empêché d’être ferme sur la répression du djihadisme. Il n’en reste pas moins que l’indignation n’a pas été à la mesure de celle que nous avons eue dans d’autres occasions.
Probablement était-il difficile de nommer le mal, à l’origine des attentats : l’islamophobie. Car les victimes des attentats l’ont été, non parce qu’elles étaient néozélandaise, ou malencontreusement présentes à Christchurch, comme d’autres étaient à Nice, à Barcelone, ou à Bruxelles, mais parce-qu’elles étaient musulmanes. Comme celles de Charlie l’ont été parce qu’elle étaient frappées d’une Fatwa pour blasphème par les islamistes, comme celles de l’Hyper Cacher ou de l’école Ozar Hatora parce qu’elles étaient juives, ou comme Jacques Harmel parce qu’il était prêtre catholique.
Difficile pour beaucoup de dire qu’il s’agit d’actes islamophobes. C’est vrai qu’il peut leur paraître difficile de séparer l’ivraie islamophobe d’un grain anti-islamiste, d’ailleurs de qualité inégale (comme d’ailleurs l’antisémitisme de certaines critiques, justifiées ou non, du sionisme). Et pourtant il faut appeler un chat un chat, et le mal par son nom, comme l’a fait avec courage et lucidité, Jean-Dominique Merchier dans L’Opinion ; sauf, comme certains, à refuser de qualifier d’islamophobe cette forme de racisme, au motif que le terme a été instrumentalisé par les islamistes pour couper court à toute critique de l’islam ; comme, pour les autres, à refuser de qualifier d’islamiste les dérives totalitaires et radicalisées de l’islam politique, au motif qu’on risque, ce faisant, d’attaquer la religion des faibles et des opprimés. Pourtant, comme l’antisémitisme, l’islamophobie, dont l’usage s’est imposé pour le désigner, est en train de devenir cette forme exacerbée de racisme, confondant sous un seul terme, une origine ethnique supposée, une religion qui inquiète, et la culture qui lui serait associée, dans une figure de l’autre qui concentre la haine.
L’auteur de ces crimes, qui ne mérite que l’anonymat, n’était probablement pas plus fou que les djihadistes qui ont perpétrés leurs attentats au nom d’Allah, mais tout aussi radicalisé qu’eux, par l’idéologie suprémaciste et son corollaire islamophobe. Et les suprémacistes n’ont rien à envier aux djihadistes dans le concours d’horreurs terroristes, dans la haine de l’autre, dans la folie délirante de violence. On pourrait en déduire que cette violence radicalisées a surement plus à voir avec la nature humaine qu’avec les idéologies, religieuses ou politiques, au nom desquelles elle s’exerce. Et d’ailleurs toutes les idéologies ont, ou ont eu leurs dérives violentes, totalitaires ou terroristes, à commencer par le christianisme avec les croisades et l’inquisition.
Faut-il donc dédouaner ces idéologies, politiques ou religieuses, de toute responsabilité, comme Renaud Camus s’en est défendu en déniant avoir, avec sa « théorie » du « grand remplacement », reprise par l’auteur des attentats, inspiré ces attaques « terroristes, épouvantables, criminelles, désastreuses et imbéciles ». Certes, il a régulièrement prétendu être contre la violence, mais n’a cessé d’appeler à la résistance contre le complot remplaciste, utilisant contre ceux qui le fomentent les termes qu’utilisaient ceux que les occupants nazis appelaient eux-mêmes des terroristes, qualifiant ce qu’il appelle « le génocide par substitution » de « crime contre l’humanité du XXIème siècle ». Certes on objectera que Renaud Camus ne touche qu’un petit cercle d’initiés (près de 30 000 abonnés sur son compte tweeter), mais, d’Eric Zemmour à Marion Maréchal-Le Pen, le « syntagme » central de sa « théorie » fantasmatique s’est imposé dans le débat public. Une théorie qui pourtant, comme l’avait montré le débat avec Hervé Le Bras organisé par Alain Finkielkraut sur France-Culture, et à l’image des « vérités alternatives » de Donald Trump, nie les faits et leur analyse statistique, au nom de « l’expérience du peuple », pour qui la « substitution ethnique » « est visible partout ». « Avant tout massacre, il y a une idée » a dit le cinéaste cambodgien Rithy Panh à propos de celui commis par les Khmers rouges. Cela vaut tout autant pour l’idéologie du grand remplacement que pour l’idéologie l’islamiste.
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