Il était temps. Après un avis du CCNE, puis une conférence citoyenne organisée par la Cese et dont les conclusions ont été remises il y a presqu’un an, Emmanuel Macron s’est enfin décidé à honorer une promesse de la campagne 2022 et à proposer de légiférer sur l’aide à mourir. Bien sûr on ne peut s’empêcher de penser que c’est le souci de redonner, à défaut d’une dimension sociale, une dimension sociétale à son quinquennat qui l’ont conduit à passer outre les messages d’opposition réitérés qui lui ont été adressés par l’Eglise catholique, y compris, au plus haut niveau, par un pape qui a, lors de son déplacement à Marseille en 2023, dénoncé la « perspective faussement digne d’une mort douce, en réalité plus salée que les eaux de la mer ». Mais, en même temps, on a rarement vu une préparation éthique et démocratique aussi approfondie.
Avant ces travaux, beaucoup pensaient que l’équilibre atteint par la loi Claeys-Leonetti de 2016 était suffisant. Il repose, sous réserve des directives anticipées du patient, sur le principe de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Il y a, au passage, une forme d’hypocrisie de la part de ceux qui défendent cet équilibre au nom du respect de la vie : en effet celui-ci repose sur ce que Jean Leonetti lui même appelait, dès la première loi de 2005 qui porte son nom, le « double effet », c’est à dire le recours pour soulager la souffrance du malade en fin de vie, à des médicaments susceptibles de provoquer ou d’accélérer la mort du patient ; autrement dit, au motif de limiter les souffrances la possibilité éthique de les abréger : une forme d’euthanasie qui ne dit pas son nom.
Le problème c’est que, comme l’ont montré les travaux tant du CCNE que de la convention citoyenne, cet équilibre laisse de côté tout une série de situations. D’abord le caractère collégial de la décision ne permet plus, comme cela a pu être le cas auparavant, de régler la question dans le secret du « colloque singulier » entre le médecin et son malade, mais nécessite explicitation et transparence, avec les éventuelles mises en cause devant les tribunaux. Surtout le double effet n’apporte pas une réponse satisfaisante à certaines pathologies. C’était le cas de Paulette Guinchard-Kunstler qui, ancienne secrétaire d’Etat aux personnes âgées n’était pas particulièrement favorable au « droit à mourir », mais, atteinte d’une maladie neurologique a choisi de recourir au suicide assisté en Suisse, faute de pouvoir bénéficier en France du dispositif légal. C’est à ce type de situation que vise à répondre la loi. Des situations où le processus létal n’est pas suffisamment engagé pour qu’il puisse être accéléré, mais qui conduisent à une forme de mort psychologique et sociale. Cette vie biologique végétative et souffrante est-elle encore une vie humaine ? C’est la question que devraient se poser tous ceux qui crient à la rupture anthropologique. S’il y a rupture anthropologique ce n’est pas là, mais dans la mort elle-même, qui est de moins en moins souvent un passage immédiat de la vie à la non-vie.
Attention toutefois, l’arbre de l’aide à mourir ne doit pas cacher la forêt du problème de société majeur que génère cette évolution. Les opposants à sa légalisation ont pointé un risque de dérive : la substitution du recours à l’aide à mourir, beaucoup moins couteuse, aux soins palliatifs. Un risque probablement surestimé : on voit mal les soignants éliminer les personnes en fin de vie pour faire faire des économies à l’assurance maladie. Mais le vrai problème n’est pas là : le droit à mourir dans des conditions humaines, n’était accessible en 2022 qu’à un sur deux de nos concitoyens : le développement des lits de soins palliatifs stagne depuis 2019, alors que leur existence est une condition de l’application de la loi Claeys-Leonetti. Bien sûr, ce ne sont pas les déclarations qui ont manqué, mais la politique de rationnement de la dépense d’assurance maladie (l’Ondam) qui est la principale cause de la crise du système de santé, n’a pas permis non plus de dégager les marges de manœuvre nécessaires pour investir dans ces soins. Pour rassurer, l’exécutif a prévu que la loi prévoirait un volet sur les soins palliatifs, dont le principal enjeu serait semble-t-il de changer leur nom. Mais il n’est pas besoin de légiférer, ni a fortiori de changer leur nom, pour développer les soins palliatifs. C’est d’abord une question de moyens pour former les soignants, pour créer de nouvelles unités, pour en financer le fonctionnement. Aujourd’hui la dépense annuelle qui leur est consacrée est de 1,6 mds €, auxquels la « stratégie décennale » qui devrait être présentée à la fin du mois de mars a prévu d’ajouter 1 md € supplémentaire … d’ici dix ans. On voit bien que cela ne doublera pas l’offre face à un besoin qui va continuer à augmenter du fait du vieillissement de la population. Surtout cela suppose une augmentation annuelle de plus de 6 % de l’enveloppe consacrée à ces soins, soit le double du taux de croissance de l’Ondam prévue en 2024 et qu’il faudra voter chaque année, dans un contexte où le ministre de l’économie annonce la nécessité d’économies supplémentaires sur l’assurance maladie. Le moins qu’on puisse dire c’est que ce n’est pas gagné.
Paris, Croulebarbe, le 18 mars 2024
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