Sous le titre « Allô Hosto, bobo ! » Témoignage Chrétien a repris dans son numéro du 28 novembre 2019 et dans une version un peu modifiée le papier paru ici sous le titre « L’Ondam, … à l’origine de la crise hospitalière ? ».
Un milliard et demi pour régler la crise hospitalière, la somme est d’importance. Alors pourquoi ce sentiment que « le compte n’y est pas » ?
Allô Hosto, bobo !
Pour comprendre ce que sont ces 1 500 millions supplémentaires, il faut revenir aux causes économiques de cette crise, et au fameux Ondam, cet acronyme technocratique soudain apparu sur les banderoles, et qui est né il y a un peu plus de vingt ans, dans les ordonnances Juppé.
Fixé chaque année depuis 1997 dans le cadre de la Loi de financement de la Sécurité sociale, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie – puisque c’est de cela qu’il s’agit – n’est pas un budget – on ne va pas arrêter de soigner les patients en décembre s’il est dépassé –, mais une ardente obligation ; et les régulateurs du système utilisent tous les moyens à leur disposition pour qu’il soit respecté.
L’exercice mérite d’être expliqué. On fixe d’abord le montant souhaité de la dépense remboursée par l’assurance maladie – 200,3 milliards en 2019 – et donc le taux de son augmentation en euros constants d’une année sur l’autre ; depuis quelques années, ce taux est fixé en dessous de 2,5 % – pour 2020 initialement à 2,3 % ; c’est vrai, la dépense de santé ne diminue pas mais augmente chaque année – et à un niveau inférieur pour l’hôpital. On calcule ensuite l’évolution spontanée de la dépense, aujourd’hui comprise entre 4 et 5 %. Enfin, on prévoit, et c’est l’un des principaux objectifs du projet de Loi de financement de la Sécurité sociale, les mesures correctrices qui permettront de ramener le rythme des dépenses au taux souhaité : ce sont les fameuses « économies ».
Contre toute attente, ça a marché, et on a réussi, progressivement, à la fois à respecter le taux de croissance de l’Ondam et à le réduire de façon à le rendre compatible avec le rythme de croissance de l’économie, donc à ramener – presque – à zéro le déficit de l’assurance maladie ; et cela sans réduire la part des soins pris en charge par la Sécurité sociale.
Le problème, c’est que le système atteint probablement sa limite et en tout cas a conduit à exercer une pression économique considérable sur l’hôpital, ce qui est en grande partie à l’origine de la crise actuelle. Car, pour atteindre ce résultat, l’État et l’assurance maladie ont joué sur les variables les plus faciles à manipuler, ce qui est le cas des variables hospitalières.
Ainsi, les budgets et les effectifs hospitaliers ont été fixés de façon à respecter l’Ondam, les tarifs – la fameuse TAA (tarification à l’activité) – n’ont pas été revalorisés et les salaires des hospitaliers ont moins évolué encore que ceux des autres fonctionnaires : résultats, les établissements ont eu tendance à multiplier les actes pour maintenir leurs ressources, les rémunérations du public se sont dégradées par rapport à celles du privé, et le déficit des hôpitaux s’est accru, et avec lui un endettement qui ne vise pas seulement à financer les investissements, mais constitue une sorte de dette sociale cachée. Sans compter que les réformes structurelles régulièrement annoncées, et notamment le « virage ambulatoire », qui devrait diminuer la charge pesant sur l’hôpital, n’ont pas eu l’effet escompté, comme l’illustre la crise des urgences.
Il est malheureusement peu probable que le nouveau plan hôpital permette de compenser les effets de long terme de cette pression économique excessive. Le fameux « milliard cinq » n’est que l’effet cumulé sur trois ans de l’atténuation de la pression sur l’Ondam ; avec, en contrepartie, le recul de l’équilibre des comptes. Les primes ciblées compenseront très partiellement le décrochage des salaires des soignants, avec comme conséquence la fuite des médecins vers un privé où il est plus facile de pratiquer des dépassements d’honoraires, des difficultés croissantes pour recruter infirmier·es et aides-soignant·e·s, et des résistances envers un système de retraite dont les points seront acquis sur des salaires trop faibles. Quant à la reprise, sur trois ans, d’un tiers de la dette des hôpitaux par l’État, si elle aura l’avantage de décharger les comptes d’une partie des charges financières, elle ne permettra probablement pas de rétablir un investissement qui a diminué depuis 2010. Or, la solution à la crise passe par des investissements importants, notamment dans l’immatériel.
On peut aussi tirer deux leçons macroéconomiques de cette crise hospitalière. On ne peut, en même temps, faire des économies tout de suite, et investir dans les économies de demain. On ne peut, en même temps, réduire les déficits et baisser les prélèvements. A fortiori quand l’évolution des dépenses nécessiterait de les augmenter. Un problème de CM2 d’autrefois à expliquer aux Français·e·s, quelle que soit la couleur de leur gilet : La baignoire ne peut se vider que de ce dont on l’a remplie.
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