Hier sur France Inter, le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer a confirmé ses propos tenus lors de l’émission « Dimanche en politique » « On sait bien, si on regarde les choses en face, que parfois il y a des achats d’écrans plats plus importants au mois de septembre qu’à d’autres moments », prolongeant celui de Périco Legasse, chroniqueur à Marianne, expliquant le 23 août sur RMC que « dans certaines familles, on attend cette prime (l’allocation de rentrée scolaire) pour acheter tout sauf des fournitures scolaires » Voilà revenu le MOC (marronier obsessionnel compulsif) de la rentrée scolaire ; un MOC de droite qui suscite immédiatement un CPVE (cri pavlovien de vierge effarouchée) de gauche, qui oppose au fantasme de « par nature les pauvres abusent des prestations », celui de « on veut mettre en place un contrôle social des pauvres ».
En fait la dernière étude, hélas un peu ancienne, de la Cnaf sur le sujet, publiée quand j’en étais le directeur général, infirme cette idée : l’ARS, une prestation monétaire qu’on ne peut donc isoler dans le revenu disponible des ménages, sert, en quasi totalité, à l’achat de biens indispensables à la rentrée scolaire (fournitures, vêtements, cantine, etc…). Certes le ministre a raison de dire que c’est une étude fondée sur des propos déclaratifs, et qu’on ne peut pas être sûr de les résultats n’en soient pas biaisés. Mais on n’a jamais vu d’explosion des achats de télés et d’écran plats fin août et début septembre, et le phénomène de détournement de l’aide, s’il existe sans aucun doute, est totalement marginal.
Comme tout ce qui concerne les soupçons d’abus ou de fraude qui pèsent sur nos concitoyens les plus pauvres ils reposent sur un fantasme -le caractère massif des fraudes ou des abus- qui généralise à une catégorie -en l’espèce les pauvres- quelques histoires de chasse -qui telles les légendes ont un fond de vérités-, glanées et amplifiées, hier sur le zinc des comptoirs, aujourd’hui par les réseaux sociaux.
C’est d’ailleurs ce qui fait que, paradoxalement et contre l’avis de tous mes collaborateurs, j’étais favorable à la mise en place d’un chèque « rentrée scolaire », tel que proposé le 22 août dernier par Perrine Goulet, députée MoDem de la Nièvre, et que j’avais moi-même préconisé dans les notes que j’avais adressées au nouveau gouvernement en 2017 (avec bien d’autres propositions, comme par exemple l’évolution des pensions alimentaires, toutes tombées à l’époque dans un trou noir), avec l’idée aussi que, comme un chèque « naissance » se substituant lui à la prime naissance, il pourrait également être utilisé par d’autres financeurs -employeurs ou comités d’entreprise ou encore CCAS, par exemple- . Et non pour contrôler l’usage qui en est fait -à l’image du chèque-vacances, la formule du chèque laisse une grande souplesse d’utilisation-, mais pour supprimer ce soupçon d’abus. D’ailleurs, et c’est révélateur, si dans cette enquête 60 % des bénéficiaires étaient opposés à cette solution, 72 % des non bénéficiaires y étaient favorables.
En fait, ces réactions opposées révèlent surtout quelque-chose de plus fondamental sur l’attribution des prestations sous conditions de ressource : la solution de continuité qu’elles introduisent dans les mécanismes de solidarité crée une forme de sentiment d’injustice à rebours de la part de ceux qui n’en bénéficient pas, et constitue un des facteurs de la remise en cause du consentement à la solidarité. Pour rétablir ce sentiment de solidarité je crois finalement qu’il vaudrait mieux, plus que de les transformer en chéque pour calmer l’angoisse hystérisée de la fraude, considérer ces allocations comme une forme d’impôt négatif, et donc introduire en même temps une déduction fiscale équivalente pour les familles qui paient l’impôt sur le revenu (qui, a priori, n’ont pas besoin de cette avance pour faire face au supplément de dépense lié à la rentrée scolaire), et bénéficieront aussi de cette solidarité.
Paris, Croulebarbe, le 2 septembre 2021
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