Sur « Pierre » de Christian Bobin.
C’est l’histoire d’un pèlerinage, par une nuit de solstice d’hiver, du Creusot à Sète, pour un anniversaire ou une nativité, on ne sait, pour rendre visite au « monsieur tout noir du mont Saint-Clair ». C’est le récit intérieur d’un voyage à Sète, la ville du cimetière marin, celui de Brassens, dont il ne parle pas, et de Paul Valéry, dont il parle ; celui qui « a fait un rapt sur ce cimetière », avec des vers découpés avec « le même petit ciseau qui mettait chaque matin sa moustache au garde-à-vous ».
C’est un récit de voyage, un voyage en train en forme de « thèse de philosophie », par une nuit comme « soixante année de théologie » ; ou plutôt un long voyage intérieur, l’odyssée d’une nuit de Noël comme « un rêve sans profondeur », « un concentré de perte et d’euphorie », comme une sorte de tombeau avant l’heure à la gloire du grand maître de l’outrenoir, qui a su « signer le néant que nous sommes ».
C’est un palimpseste sur les bavardages, « bavardages des roues du train, bavardages des économiqtes, bavardages des littérateurs », quand sur les mots insignifiants la poésie arrive à tracer le verbe incarné par une couleur vide de sens.
C’est un long tutoiement, quand « je suis » deviens « tu es » : Pierre, un prénom comme une approximation, un prénom qui sonne comme celui d’un bâtisseur d’église, ou d’un baptiseur de goudron, ce goudron dont la pluie fait jaillir la lumière « comme une veste trempée abandonnée sur la route » ; comme le petit Pierre s’essayait, de la même encre, à dessiner la neige.
C’est le récit de l’attente devant un portail, un portail comme un poitrail, un portail à la « poitrine épaisse de fonte » qui protège « le peintre », une espèce de porte ou de porche, le porche du mystère des origines, 99 ans du mystère d’un homme qui en aura cent cette année.
C’est un long poème des origines, de la genèse d’un noir qui vient du fonds des profondeurs, non comme l’ombre portée par la lumière de la pureté des idées, mais qui , comme à Lascaux, surgit au contraire sur « la paroi intérieure du cœur humain », le noir de l’origine du monde, celle qu’un explorateur de l’intimité avait recouvert d’une écorce impudique et dont ne resterait qu’un zoom sur le noir pubien, ce noir intersidéral de la nuit utérine d’un autre détrousseur de mot, ce « seul grain de blé noir (…) se contractant jusqu’à devenir ce rien d’où nous venons ».
C’est une longue confession, une confession de foi agnostique, écrite à l’encre empathique d’où surgit « une présence, l’excès du réel qui ruine toutes les définitions », portée par « une voix, (…) le monde entier repeint par la personne », « l’instrument du dieu qui n’existe pas », « le dieu du Rien ».
C’est une contemplation. La contemplation d’une non-couleur à qui, pour plagier Christian Bobin, Soulages a su donner ses lettres de faiblesse. « Le langage est le seul dieu, celui que les nuages, les hauts poèmes et tes outrenoirs parlent. »
Paris, le 6 décembre 2019
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