A qui a suivi avec un peu de distance critique les événements qui ont marqué la gestion de la crise du Covid depuis le début de l’année, le rapport de la mission d’information de l’assemblée nationale « Impact, gestion et conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19 » (devenue mission d’enquête) présenté par Eric Ciotti n’apportera pas grand chose de plus qu’une confirmation officielle et fort bien documentée de ce qu’on savait déjà sur l’impréparation de la France, sur la réaction tardive des autorités, sur les défauts de communication, sur l’embolie du dépistage, sur l’insuffisante médicalisation des Ehpad, etc… ; peut-être aussi une confirmation du manque d’imagination de certains vieux routiers de la politique, quant aux solutions à apporter aux manquements qui ont été identifiés.
Identifie-t-on un problème de coordination interministérielle qu’on propose de nommer un nouveau ministre (délégué) directement rattaché au Premier ministre, comme si les autres ne l’étaient pas déjà : quand la troisième République créait une commission, la cinquième du nom augmente le nombre de membres du gouvernement, ce qui n’améliore en rien le fonctionnement des directions d’administration centrale, la plupart d’entre elles ayant désormais plusieurs ministres ou secrétaires d’État à qui elles doivent rendre compte.
Identifie-t-on un problème de mise en œuvre dans les territoires, et une mauvaise coordination entre les préfets de départements, les agences régionales de santé, et les innombrables communes qui font la richesse de notre République locale, qu’on propose, dans un réflexe bonapartiste, d’éclater l’autorité régionale de santé en autant d’agences départementales, placées sous l’autorité du préfet. Sans se poser la question de savoir si elles auront suffisamment d’expertises médicales en leur sein pour gérer dans leur complexité les sujets sanitaires.
Le rapporteur s’est défendu de toute intention d’attaque politicienne contre le gouvernement ; et c’est vrai que le problème d’impréparation n’est pas né avec la crise du Covid, ni avec l’arrivée aux manettes des équipes macroniennes, même si elles ne l’ont pas plus anticipé que leurs prédécesseurs, et le rapport date l’inflexion de l’année 2010, après que Roselyne Bachelot ait fait l’objet de critiques acerbes et injustes pour en avoir trop fait en 2009 face à l’épidémie de grippe H1N1, ce qui aurait conduit ses successeurs à considérer «qu’il y avait moins de risque pour un politique à en faire moins qu’à en faire trop ».
Ce n’est pas faux, mais ce qui est surprenant c’est que le rapporteur n’ai pas fait le lien avec une autre inflexion, pourtant mise en exergue dans le récent rapport de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale. Car 2010, c’est aussi la première année où les dépenses d’assurance maladie se révèlent inférieures à un Ondam dont le taux d’augmentation annuel avait lui-même commencé à être fortement contraint à partir de 2006. On peut certes considérer que les quelques milliards nécessaires à une bonne organisation de la santé publique ne sont rien à côté des quelques 200 milliards que constitue l’ensemble de la dépense de soins remboursée par l’assurance maladie. Mais quand on n’arrive pas à maîtriser celle-ci pour la part qui dépend des décisions de chacun de se faire soigner et surtout des médecins de prescrire des soins, on n’a d’autre choix que de faire pression sur les dépenses qui relèvent de décisions budgétaires des pouvoirs publics, comme le nombre d’hospitaliers et leurs rémunération (et c’est un hôpital déjà en crise qui « a pris de plein fouet la crise sanitaire »), les dépenses de prévention (qui ont augmenté de 1% par an quand celles de soins augmentaient de 2,8%), et, bien sûr les dépenses collectives que nécessitent les réponses aux crises sanitaires : pour celles-ci le rationnement s’est substitué à une rationalisation qu’on arrivait pas à imposer aux autres.
Ainsi les ARS, accusées, probablement en partie à juste titre, de n’avoir pas été à la hauteur, ont perdu au moins 1000 emplois dans leur budget (et en réalité plus de 1500 si l’on en croit les organisations syndicales), sur les quelques 9500 agents qu’elles comptaient à leur création en 2010 et les fonds d’intervention régionaux qui leurs permettent de financer les dépenses collectives et la prévention n’ont augmenté que de 0,8% par an (en € courants, ce qui veut dire qu’elles ont diminué) au cours de la dernière décennie.
Ainsi, Santé publique France a regroupé en 2016, dans le prolongement de la fameuse RGPP, trois organismes précédents, dont l’Eprus qui était chargé de gérer les stocks stratégiques et la réserve sanitaire, qui avaient vu l’ensemble de leurs budgets fondre de 75 millions d’€ (sur un total de 250) entre 2010 et 2015.
Ces pressions budgétaires ont conduit à une sorte de contexte de « rationnement d’atmosphère » (comme il y a, selon la belle expression de Gilles Kepel, un « djihadisme d’atmosphère ») où chacun veut être le meilleur élève au jeu de la rigueur budgétaire, ce qui est évidemment favorable à des décisions absurdes, comme la diminution du stock de masques et l’absence d’anticipation de leur péremption.
Le résultat c’est qu’en fait la crise a couté beaucoup plus cher que ce qu’elle aurait couté sans cette impréparation : en générant plus de malades que ce qu’on aurait eu sinon, en obligeant à acheter des équipements au prix fort, en conduisant à reporter des soins qui se révéleront plus couteux plus tard et à décider un confinement plus contraint qu’ailleurs, pour éviter la saturation des lits de réanimation, avec toutes ses conséquences sur l’activité économique.
Comme l’illustre l’arbitrage défavorable à l’abondement du fonds national d’urgence dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, ce qui a été oublié par les gestionnaires des finances sociales depuis une quinzaine d’année, c’est que l’État, et en l’espèce, en matière de santé, l’assurance maladie qui en assume la charge, est aussi le réassureur en dernière instance face à ce type de risque. De ne pas avoir anticipé la couverture de ces risques dans la dépense de santé conduit à son explosion en 2020, et à un nouveau report du déficit sur la fameuse Cades, caisse d’amortissement de la dette sociale, avec la nécessité de prolonger la contribution pour son remboursement jusqu’en 2033 (ce qui, au passage, ne permettra pas d’en affecter le produit à un cinquième risque dont la crise a montré à quel point il était mal couvert).
Paris, Croulebarbe, le 7 décembre 2020.
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