Sous le titre « Blasphème, vous avez dit blasphème ? », Témoignage chrétien a repris dans son numéro du 15 novembre, dans sa rubrique « coup de cœur » et dans une version abrégée, le papier que j’avais publié ici en soutien à Asia Bibi sous le titre « Laïcité j’écris ton nom (suite, 8). Pour une prohibition internationale du délit de blasphème ».
Blasphème, vous avez dit blasphème ?
Après les versets sataniques de Salman Rushdie, les caricatures du prophète dans Charlie Hebdo, c’est maintenant le fait de boire un verre d’eau à un puits et de le rendre ainsi soi-disant impur qui a valu à Asia Bibi une condamnation à mort pour blasphème. Certes, elle a été innocentée par la Cour suprême du Pakistan, mais sa vie, comme celle de ses proches, celle de son avocat – qui a d’ailleurs dû s’exiler aux Pays-Bas – et celle des juges qui l’ont acquittée, est toujours en danger.
Condamnée à mort pour blasphème, comme le fut, en 1766, le chevalier de La Barre, qui inspira à Voltaire un de ses combats pour la tolérance et contre la torture. Crime ou délit, le blasphème a disparu en France avec les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et, après une tentative de la Restauration de rétablir un délit de sacrilège, avec la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Ces deux articles ont inspiré les articles 18 (« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ») et 19 (« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. ») de la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont nous allons célébrer les soixante-dix ans le 10 décembre.
Normalement, le blasphème, comme l’apostasie, est incompatible avec cette base fondamentale du droit international. Cela n’a pas empêché l’Organisation de la coopération islamique (OCI), seule organisation confessionnelle dont les membres soient des États (cinquante-sept au total) de mener au sein de l’Onu, sur la base d’une charte islamique des droits de l’homme, une bataille pour que le blasphème soit intégré parmi les infractions reconnues par le droit international. Pour l’instant sans succès. Encore que : un arrêt récent de la Cour européenne des droits de l’homme a validé la condamnation par les juridictions autrichiennes d’une conférencière qui avait assimilé à de la « pédophilie » le mariage du prophète avec une enfant de six ans. L’Autriche est d’ailleurs un des treize États européens à avoir maintenu le blasphème dans sa législation pénale, en contradiction avec l’idée de laïcité, qui postule la neutralité religieuse de l’État.
La laïcité n’est pas une spécificité française ; elle reste une idée neuve en Europe et dans le monde. Face au risque de retour des totalitarismes religieux, il faut, comme nous avons su le faire pour les droits de l’homme en 1948, lui donner une dimension internationale, comme garantie à la fois de la liberté de religion et d’opinion et de la neutralité des États vis-à-vis des choix personnels.
Paris, le 15 novembre 2018
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