Il faut lire le tract « La ‘Révolution nationale’ en 100 jours, et comment l’éviter » de Pierre-Yves Bocquet dans la collection éponyme des éditions Gallimard. Pierre-Yves est un collègue de l’Igas, qui a travaillé avec moi notamment à la Cnam et à la Mutualité française, a été la plume de François Hollande après le départ de l’encombrant Aquilino Morelle, et est actuellement directeur adjoint de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage qu’il a contribué à créer. Surtout c’est un post qu’il avait publié sur LinkedIn pendant la campagne présidentielle de 2022 qui m’avait convaincu, alors que j’étais décidé à voter blanc au deuxième tour, de finalement glisser un bulletin au nom d’Emmanuel Macron dans l’urne pour éviter le scénario mortifère qu’il développe dans cet opuscule.
Pour présenter sa démonstration il faudrait reproduire la totalité d’un document dans lequel il n’y a pas un mot de trop et qui s’appuie sur un argumentaire d’autant plus incontestable qu’ il est là, sous nos yeux, dans le programme du RN. En résumé, sous prétexte de référendum sur l’immigration, le parti d’extrême droite prépare, en toute transparence, une nouvelle Révolution nationale via un coup d’Etat constitutionnel. Un coup d’Etat constitutionnel qui vise, d’un côté, à dénaturer les principes de notre République (la liberté, l’égalité et la fraternité) pour les soumettre à un principe d’ordre supérieur, la xénophobie d’Etat, et de l’autre, substituerait à cette République « laïque, démocratique et sociale » un régime bonapartiste autoritaire et plébiscitaire mettant au pas toutes les institutions que nous avons mises en place pour la protéger. Et tout cela dans l’indifférence générale, y compris de la presse -à l’exception notable de Thomas Legrand le seul à avoir interpellé Marine Le Pen sur ce sujet lors de la précédente élection présidentielle-.
Comment procéder à ce coup d’Etat constitutionnel : en utilisant, sous prétexte de lever tous les obstacles qui s’oppose à la mise en place de sa politique migratoire, l’article 11 de la Constitution pour la modifier en fait de fond en comble, et mettre en place même temps un clapet anti-retour, rendant difficile l’abrogation de ces dispositions. En général l’argument opposé au RN, c’est que l’article 11 qui prévoit la possibilité de faire adopter les lois directement par le peuple en passant au dessus des assemblées ne prévoit pas la politique migratoire dans son champ d’application. Cela est discutable mais en fait le problème principal n’est pas là : il est dans le fait que l’article 11 permet d’adopter des lois par voix référendaire, mais pas de modifier la constitution ; c’est l’article 89 qui est là pour ça. Et celui-ci ne permet pas de contourner le parlement, puisque tout projet doit être adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées avant d’être soumis à référendum ou le cas échéant au vote du congrès à la majorité des deux tiers (ce qui a été fait pour introduire le droit à l’IVG dans la Constitution).
Malheureusement cette objection, incontestable en droit, a déjà été contournée par deux fois à l’initiative même du fondateur de la Cinquième République, une fois avec succès pour faire passer contre les assemblées l’élection du président de la République au suffrage universel en 1962, et la seconde avec un insuccès qui a conduit à sa démission, pour faire passer par référendum la réforme du Sénat et la régionalisation en 1969. Deux précédents fâcheux mais malheureusement validés bien longtemps plus tard, une fois président, par celui qui n’avait pourtant pas eu de mots assez durs pour dénoncer « le coup d’Etat permanent » du Général de Gaulle : certain François Mitterrand.
C’est pourquoi Pierre Yves Bocquet propose d’ajouter une phrase assez courte à la fin de l’article 89 mettant définitivement fin à cette interprétation fallacieuse : « La Constitution ne peut être révisée que selon les procédures prévues par le présent article ». Une proposition qui pourrait être adoptée rapidement et sans problème comme l’a été celle garantissant le droit à l’IVG par tous les républicains indépendamment les clivages politiques. De quoi éviter que, comme le prévoit déjà l’article 89, que ne soit remise en cause « la forme républicaine du Gouvernement ».
Paris, Croulebarbe, le 2 février 2025
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