Chantiers, Sur le fil

Chrétien-agnostique : agnostique & chrétien

Cette réflexion prend son origine dans ma rencontre avec Démocratie & Spiritualité, à l’initiative de Jean-Baptiste de Foucauld, quand il m’a proposé de lui succéder à la présidence de cette association. Cela m’a obligé à préciser ma « position spirituelle » et donc en me définissant comme un « chrétien agnostique » à préciser une pensée qui relevait plus de l’intuition que du raisonnement.

Je suis devenu celui que j’avais peur de devenir. Un sceptique. Un agnostique – même pas assez croyant pour être athée. Un homme qui pense que le contraire de la vérité n’est pas le mensonge mais la certitude.

Emmanuel Carrère

Agnostique. Au fur et à mesure du temps, je suis devenu agnostique, de plus en plus agnostique, totalement agnostique, désespérément agnostique pourraient dire certains de mes amis.

Agnostique. On pourrait presque dire athée, comme André Comte Sponville[1], n’était le caractère de foi de l’athéisme, de croyance dans la non-existence de Dieu, et donc de son caractère potentiellement intolérant et militant, comme celui parfois de Michel Onfray[2].

Non. Agnostique, et heureux de l’être. Beaucoup plus heureux que quand je pensais (ou souhaitais) être croyant, ce qui contribuait fortement à mon angoisse existentielle.

J’ai pris conscience de mon agnosticisme à la lecture du « Royaume »[3]  d’Emmanuel Carrère : sa sincérité parfois un peu exhibitionniste m’a obligé à me poser la question pour moi-même : est-ce que je crois vraiment à ces histoires de Dieu, de Résurrection, de montée aux cieux. Sans même parler de tout ce que j’avais bazardé depuis longtemps : la création ex nihilo bien sûr, la conception virginale de Marie, entre autres.

J’ai pris conscience que je ne pouvais pas, honnêtement,  réciter ni le « Credo » ni même le « Pater » cette pourtant très belle prière chrétienne de la fraternité : « Notre père, qui (es) êtes aux cieux », écho du « Je crois en Dieu, le père tout puisant », je n’y croyais plus ; y avais-je même jamais cru ? même avec la pirouette de Prévert « Restez-y » ! Alors que dire de tout le reste : de la résurrection, de la Trinité, de la conception virginale de Jésus par Marie.

Bien sûr mes critiques vis-à-vis de l’Eglise chrétienne, en particulier sa fraction catholique et ultramontaine dans laquelle j’ai été baptisé, étaient bien plus anciennes, mais j’assumais totalement de me situer, en son sein, « à la gauche du Christ », pour reprendre le titre astucieux du livre de Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel. Mais il ne s’agissait plus là d’une simple critique de l’institution qui porte cette foi, mais de l’acte de foi lui-même, pour reprendre l’expression reçu du catéchisme d’avant Vatican 2, mais auquel ce concile nous avait autorisé des mots plus adaptés au monde moderne.

« De même que pour le terme athée, « agnostique » est composé du préfixe « a » (sans) mais est suivi de gnôsis qui signifie la connaissance. Le nom de ce courant de pensée est directement tiré du grec ancien agnôstos (ignorant). L’agnosticisme, quant à lui, se caractérise par la croyance que l’existence de divinités ou de dieux est inconnue, inconnaissable ou est au-delà de la compréhension humaine. Les agnostiques considèrent souvent que les questions relatives au divin sont mystérieuses et dépassent le champ de la connaissance empirique. Un agnostique ne peut ni affirmer ni nier l’existence des divinités, reconnaissant les limites de la perception et de la connaissance humaines dans ce domaine.

La pensée agnostique est née au 19ᵉ siècle dans la seule intention de provoquer l’Église. Son fondateur, le philosophe britannique Thomas Henry Huxley, utilise ce terme pour la première fois dans un écrit qui avait pour but de critiquer la métaphysique et l’idéologie religieuse qui suppose connaitre tout de l’existence des Hommes. » [4]

Agnostique avec son « a » privatif, c’est donc d’abord une définition négative[5] : « Je ne sais pas, je ne peux pas savoir », mais aussi « je n’ai pas la foi » qui, pour le croyant, se substitue à la connaissance, comme dans le « Credo quia absurdum » (je crois parce que c’est absurde), attribué à Tertullien. Plutôt que de Tertullien je me sens proche de Laplace répondant à Bonaparte qui l’interrogeait sur l’absence du nom de Dieu dans son Exposition du Système du Monde : « Citoyen premier Consul, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse. ».

Je me sens totalement en adéquation avec ce que dit Comte-Sponville, y compris -j’y reviendrai- dans le fait que cet agnosticisme n’est pas la négation de la dimension spirituelle de l’humanité : « Pourquoi Dieu plutôt que rien. Pourquoi ces lois plutôt que d’autres ? Le silence, devant le silence de l’univers, me parait plus juste, plus fidèle à l’évidence et au mystère, peut-être aussi, …, plus authentiquement spirituel. Prier ? Interpréter ? Ce n’est que mettre des mots sur le silence. La contemplation vaut mieux. L’attention vaut mieux. L’action vaut mieux ».[6]

Agnostique donc, mais chrétien aussi, ce qui ne lasse pas de surprendre souvent mes interlocuteurs pour qui c’est une forme d’oxymore.

Il y a au moins quelque chose que je crois vrai dans le credo chrétien, c’est l’incarnation, c’est que Jésus « a souffert sous Ponce Pilate, a été crucifié, est mort et a été enseveli ». Mais je ne le crois pas en vertu d’une vérité de foi, mais parce que, au regard des analyses historiques d’aujourd’hui il est hautement probable qu’un rabbi nommé Jésus a été crucifié et est mort au moment où Ponce-Pilate était procurateur de Judée. Cela dit, si demain des historiens démontraient, preuves à l’appui, que cet événement est une pure légende, je serais certes un peu déçu, mais n’en serais pas traumatisé pour autant. Et encore moins si on trouvait les restes humain de ce Jésus, contredisant ainsi le caractère matériel de la résurrection, mais confirmant son existence historique.

Mais ce n’est pas à ce titre que je me définis comme chrétien ; non, il y a trois raisons qui sont d’un autre ordre.

La première, la plus contingente, c’est que la tradition judéo-chrétienne, ce sont mes racines, mes racines culturelles, comme là aussi j’en ai pris une conscience forte en lisant « Le royaume ». Bien sûr ce ne sont pas les seules : j’ai hérité aussi de la philosophie des Lumières qui imprègne notre éducation et notre culture républicaine, et de son corolaire, la laïcité, de la tradition grécoromaine fortement présente dans les études classiques, mais aussi des traditions  auxquelles j’ai choisi de me rattacher volontairement ensuite, notamment la philosophie de l’action de Camus et la tradition socialiste dans ses diverses obédiences, et de celles à la rencontre desquelles j’ai eu envie d’aller, comme par exemple de l’Islam. Mais la source biblique (et pas seulement chrétienne) est celle qui sourd le plus profondément en moi. C’est comme cela : je suis né en France dans les années cinquante dans une famille catholique, ai été baptisé, ai fréquenté le catéchisme, participé à divers mouvements et communautés chrétiennes, ai été initié à l’exégèse biblique et fait de ces textes une de mes sources de réflexion et de méditation.

La deuxième raison est plus intellectuelle : c’est celle de la référence au « Christ philosophe »[7] de mon homonyme Frédéric Lenoir. Peut-être encore plus qu’une philosophie, le christianisme c’est pour moi une éthique, « l’éthique du sermon sur la montagne »[8] dans laquelle Max Weber voit un idéaltype de l’éthique de conviction qu’il distingue (sans l’opposer, contrairement à ce que souvent l’on croit) de l’éthique de responsabilité (qu’il ne pas confondre, elle, à ce que l’on appelle usuellement, le machiavélisme).

La troisième est plus essentielle : c’est au sens où ces textes, ou du moins certains d’entre eux, ont une dimension poétique qui permet d’atteindre quelque chose de ce que j’appelle la dimension spirituelle de l’humanité. Pour citer Edgar Morin « La vie n’a pas de sens, mais la poésie donne sens à nos vies. »[9]. Tel Sisyphe trouvant du sens à pousser son rocher. Certains de ces textes, je pense à Qohèleth, notamment, mais aussi au Cantique des cantiques, m’ont accompagné dans certains moments de ma vie ; comme pour le Dieu de Péguy, « la foi que je préfère, c’est l’espérance » et j’y trouve non pas des raisons, mais des émotions d’espérance.

Cette espérance s’appuie sur cette spiritualité agnostique : une spiritualité qui ne peut, au niveau de la raison, être atteinte que de façon apophatique, mais peut l’être au niveau de la personne par les émotions, une forme d’émotion mystique et esthétique que peuvent susciter notamment la poésie, la musique, la nature, les couleurs et les formes.

Caugliano, Fivizzano, 26-28 septembre 2023   

 

 

[1] « L’esprit de l’athéisme. Introduction à une spiritualité sans Dieu » Albin Michel, 2007

[2] « Traité d’athéologie » Grasset, 2005

[3] Emmanuel Carrère « Le royaume » POL,

[4] Pauline Biyerman  « Athée ou agnostique : quelle est la différence ? » in Gentside

[5] Le mot « agnostique » a été forgé en 1869, dans une intention « polémique », par Thomas Henry Huxley (1825-1895) pour signifier « l’antithèse évocatrice du « gnostique » dans l’histoire de l’Église, qui professait en savoir tant sur les choses mêmes à propos desquelles j’étais ignorant… » Il voulait que le terme fît comprendre que la métaphysique est « vide de sens » ; comme le pensait déjà le philosophe empiriste David Hume qui recommande, à la fin de son Enquête sur l’entendement humain, de jeter aux flammes les livres de théologie ou de métaphysique scolastique. (Source : Wikipédia)

[6] André Comte-Sponville

[7] Frédéric Lenoir « Le Christ philosophe » Plon, 2007

[8] Max Weber « Le savant et le politique »,

[9] Edgar Morin « Sur l’esthétique » Robert Laffont, 2016

2 commentaires

  • comptable retraité , je confirme a lire votre beau parcours qu’ il n »y a pas de privilege du coeur.

    je me reconnais parfaitement dans Chretien & Agnostique

    Je commente rarement mais je suis né un 1 juin 1955 a Bethune et j ai trouvé l anecdote amusante

    Merci pour ces textes et propos
    Cordialement

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