Le président du Sénat et la présidente de l’Assemblée nationale ont appelé à une manifestation républicaine dimanche 12 novembre contre l’antisémitisme, cette bête immonde dont le ventre se réchauffe à nouveau. En rappelant qu’il « a toujours lutté et continuera de lutter contre l’antisémitisme », « un poison et une déchéance de l’esprit qu’il faut combattre sans relâche » le CFCM (Conseil français du culte musulman) demande qu’il en soit « de même pour toutes les autres formes de haine et de racisme qui sévissent actuellement, notamment à l’encontre des citoyens de confession musulmane » et regrette que cette « marche (ait) comme objectif exclusif de dénoncer l’antisémitisme sans un mot sur l’islamophobie », ce qui « n’est malheureusement pas de nature à rassembler » et « peut en outre être interprétée par les islamophobes comme un signe d’impunité », justifiant ainsi la non participation de nombre de musulmans à cette manifestation.
Il est essentiel, existentiel même, au regard de notre tradition républicaine d’affirmer la réprobation nationale sur le retour d’actes antisémites en lien avec la situation dans la bande de Gaza, comme d’ailleurs de condamner le caractère profondément antisémite des actes terroristes, barbares, accomplis par le Hamas et qui prennent en otage la cause palestinienne.
Mais il est tout aussi essentiel, existentiel aussi, pour les républicains, d’éviter que cette condamnation de l’antisémitisme comme les actes terroristes accomplis sur notre territoire comme l’assassinat de Dominique Bernard, ne tourne à l’islamophobie [1]. Tous les musulmans, toutes les personnes de culture musulmane, ne sont pas antisémites ; et ne sont pas non plus djihadistes. Et il n’y a pas que les islamistes qui soient antisémites. Une partie de la droite extrême se refait une virginité au regard de son passé antisémite en déplaçant sa vindicte vers un autre bouc émissaire, l’arabe, le musulman, confondus dans la même essentialisation ethnoreligieuse que celle qui a été utilisée pour les juifs.
Mais « rien n’est simple » disait Sempé. Il y a aussi une confusion entretenue, de part et d’autre, entre l’antisémitisme et l’antisionisme. Et c’est vrai que l’antisionisme peut servir de paravent à l’antisémitisme. Mais ont peut aussi être antisioniste sans être antisémite : et d’ailleurs les premiers antisionistes dans l’histoire ont été des juifs qui ne partageaient pas le projet développé par Théodore Hertzl à la fin du XIXème siècle et qui est à l’origine de la création d’un foyer national juif au début du XXème qui a abouti après la Shoah à la création de l’Etat d’Israël. Et le sionisme d’aujourd’hui sert de base à la politique conduite par le gouvernement de Benjamin Netanyahou, que ce soit dans l’évolution vers une identité israélienne conçue comme ethnoreligieuse, dans la politique de soutien aux colonies en Cisjordanie et aujourd’hui dans une riposte vengeresse contre le Hamas dont les principales victimes sont les civils palestiniens de la bande de Gaza. Il est donc tout aussi essentiel que la lutte contre l’antisémitisme ne soit pas détournée au profit d’un soutien inconditionnel au projet sioniste d’un « Grand Israël » et à la politique actuelle de l’Etat hébreux.
Mais « tout se complique » disait aussi Sempé. La dénonciation de l’islamophobie -et c’est pour cela que le terme est contesté- a d’abord été le paravent idéologique de l’islamisme, comme l’illustrait le sinistre CCIF (Comité contre l’islamophobie en France) aujourd’hui dissout, mais après que d’aucuns s’y soient laissés prendre ; et le rejet de l’islamophobie ne doit pas conduire à une tolérance vis à vis d’un islamisme qui partage avec le sionisme d’aujourd’hui un perspective théologico-politique contraire aux principes universalistes et démocratiques, au motif que l’islam serait la religion principale des prolétaires aujourd’hui.
Je sais qu’il est toujours difficile de séparer le bon grain de l’ivraie, mais je rêve d’un appel à lutter en même temps contre l’antisémitisme et contre l’islamophobie, qui ne soit pas instrumentalisé pour soutenir un islamisme ou un sionisme, qui ne sont ni l’un ni l’autre aujourd’hui conformes à nos valeurs républicaines.
Paris, Croulebarbe, le 10 novembre 2023
[1] Même si l’utilisation du terme islamophobie est critiquée, à juste titre, notamment pour avoir été instrumentalisé par les islamistes (j’en ai été moi-même victime), je l’utilise néanmoins car il a fini par s’imposer pour désigner « l’attitude d’hostilité systématique envers les musulmans, les personnes perçues comme telles et/ou envers l’islam » (CNCDH), acception utilisée par plusieurs institutions intergouvernementales, tel que le Conseil de l’Europe.
Merci Daniel pour cette réflexion, l’humanité rêve depuis toujours de paix – mais comme les hommes ne changent pas, le problème semble insoluble. Puisses-tu être entendu. Fraternellement Monika