J’espérais alimenter quotidiennement cette nouvelle chronique, « au temps du corona ». Mais le Covid19 a un côté imprévisible, et depuis trois jours la fièvre est repartie et avec elle la fatigue, et je n’ai pu m’y remettre plus tôt.
Cette crise, cet événement, inédit à plus d’un titre, pose de multiples questions dans de nombreux domaines, et modifiera, on l’espère, nombre de nos repères, comme je l’ai déjà exprimé ici, sur la mondialisation, ou sur les mouvements qui agitent la noosphère. Plus modestement, au regard des ces grands enjeux, cette chronique se veut, elle, pointilliste, abordant sur un point particulier, sur lequel l’épidémie nous oblige à revenir sur des idées trop facilement reçues. Pour prolonger, après la vaccination, un autre sujet d’actualité, les arrêts de travail, et notamment la question débattue du délai de carence.
Délai de carence, … ou carence de la pensée ?
Finalement le gouvernement, par la voix de son chef, s’est rendu aux arguments des syndicats et des oppositions, et a suspendu l’application du délai de carence dans le public, comme dans le privé. Comme pour les retraites, les apparences sont trompeuses, et les fonctionnaires font figure de privilégiés, avec un délai de carence d’une journée, contre trois dans le privé : mais en fait il ne concerne dans le privé que la part prise en charge par l’assurance-maladie, et dans nombre d’entreprises privées le salaire est maintenu, au moins en partie, par l’employeur ou dans le cadre d’accords de prévoyance, ce qui n’est pas le cas dans le public où le premier jour d’arrêt de travail est déduit du traitement. C’est vrai qu’il apparaissait particulièrement injuste que les fonctionnaires, et notamment hospitaliers, qui sont au front, se voient appliquée cette pénalité dès lors qu’ils contracteraient le virus dans le cadre de leur activité.
Certes, il ne s’agit pour l’instant que d’une suspension. Mais cette sage mesure peut être l’occasion de s’interroger sur ce jour de carence, qu’à un moment la cour des comptes a même proposé au gouvernement d’étendre au privé, en imposant un jour de carence d’ordre public, qui ne puisse faire l’objet d’aucune prise en charge. Or ce délai de carence est non seulement injuste, et pas seulement en période d’épidémie, mais aussi inefficace pour maitriser la dépense, et pour prolonger l’allitération, imbécile, au sens initial du terme, i.e. intellectuellement faible.
Injuste, d’abord. Loin de moi l’idée de penser que tous les arrêts de travail sont justifiés, et qu’il n’en existe pas qui relèvent du traditionnel « risque moral ». C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’avais engagé, dès 2003, contre l’avis d’une partie de mes équipes et d’une majorité du conseil d’administration. Mais, justement, l’institution d’un délai de carence conduit à punir tout le monde, pour les abus de quelques uns.
Inefficace. Contrairement à une idée reçue, l’institution d’un délai de carence ne conduit pas à diminuer globalement la dépense d’arrêt de travail : elle diminue effectivement les arrêts courts, mais augmente les arrêts longs. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est une très sérieuse revue de dépenses de l’Igas et de l’IGF sur « L’évolution des dépenses d’indemnités journalières ».
Mais surtout, l’idée du délai de carence, qu’on peut analyser comme une forme de franchise sur la dépense, relève comme elle, de la paresse intellectuelle. C’est oublier en effet qu’entre l’assuré et l’assurance, il y a un tiers, le prescripteur, qui décide, ou non, de mettre la personne en arrêt de travail. S’il y a risque moral, il y a forcément complicité. Et d’ailleurs la seule action de maîtrise des arrêts de travail qui ai réellement fonctionné, est le plan de contrôle de 2003, dont les effets se sont fait sentir jusqu’en 2006, et qui reposait sur le ciblage des contrôles sur les gros prescripteurs, non en considérant qu’ils étaient tous des fraudeurs, mais en considérant que la probabilité était plus forte de tomber sur des comportements accommodants, pour ne pas dire laxistes. On peut penser que ce modèle de ciblage, assez fruste, s’est progressivement épuisé. Mais on aurait pu améliorer les méthodes de ciblage, comme cela a été fait dans d’autres domaines, par l’utilisation des techniques de « fouilles de données », pour cibler davantage les contrôles et en renforcer ainsi l’efficacité.
Et puis, si on ne peut nier que la prescriptions des arrêts de travail est, plus que les autres prescriptions remboursées, sujette au risque moral, c’est à dire à l’abus de l’assurance, l’origine de celui ci ne peut être uniquement analysé comme le fait de chercher à être payé à ne rien faire. L’arrêt de travail n’est pas toujours la meilleure solution thérapeutique, mais c’est parfois la seule solution pour un médecin qui enregistre les difficultés au travail de son patient : elle répond bien sûr à sa demande, mais elle peut aussi exonérer l’employeur de ses propres responsabilités sur la qualité de vie au travail. C’est peut-être là, finalement, qu’est le véritable risque moral.
Paris, Croulebarbe, le 26 mars 2020, 10éme jour de confinement, 8ème jour de Covid19.
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