Que dire de Jacques Delors qui nous a quitté hier qui n’ai déjà été dit par ceux qui comme moi ont été marqués par son action et son éthique politique ? Bien sûr Delors l’européen. Bien sûr le social-démocrate mâtiné de démocrate-chrétien. Bien sûr le réalisme en économie mais aussi le souci du social. Tout cela a été dit cent fois et beaucoup mieux que par moi.
Je n’ai pas été à proprement parler un proche de Jacques Delors. Mais mes rencontres avec lui m’ont marqué. La première a eu lieu en 1986, à l’occasion d’un voyage à Bruxelles du secteur politique de la Vie Nouvelle. Je l’ai retrouvé ensuite en 1988 comme stagiaire de l’Ena à la commission avec un passage de deux mois à son cabinet. Avec Philippe Frémeaux nous l’avons interviewé pour Alternatives économiques en 1990 et je l’ai invité à la même époque comme grand témoin des 10 ans du mensuel. C’est de ces différentes rencontres que date mon intérêt pour l’Europe sociale, dont il avait été l' »inventeur » pour contrebalancer les risques de dumping social du marché unique et son action, son exemple, a alimenté aussi, même si c’est parfois de façon critique, mon engagement européen.
Nous avons également, en 2009, signé ensemble avec Jacques Maillot et d’autres un appel au soutien de Témoignage Chrétien. Il a été de ceux qui se situaient clairement à la gauche du Christ (même si dans son cas c’était plutôt au centre gauche) notamment par sa participation à la JOC, puis au courant « Reconstruction » qui a fait de la CFTC la CFDT, mais aussi à La vie nouvelle, où il avait créé le club (et la revue) Citoyens 60 (devenue depuis Citoyens).
Politiquement je me sentais plus proche du socialiste Michel Rocard, avec qui il formait une sorte de couple de frères ennemis de la deuxième gauche, que du démocrate chrétien héritier de Marc Sangnier qu’il était resté au fond, je crois. Pour autant j’ai profondément regretté son refus d’aller à la Présidentielle en 1995, pour succéder à Mitterrand : d’aucun ont mis en cause le refus de François Bayrou de soutenir sa démarche ; d’autres son souci de ne pas empêcher sa fille Martine Aubry, d’accéder plus tard à la magistrature suprême ; tout cela est peut-être vrai, mais je crois qu’il y a aussi une autre raison qu’il nous avait révélé en 1986 quand nous lui avions posé la question et qu’il nous avait répondu qu’il ne s’en sentait pas la capacité en nous disant (je cite de mémoire) « Mitterrand, il peut y avoir des morts dans le pays, il dort la nuit ».
C’est peut être ce qui me reste de plus important de sa part : son message éthique, son souci de conjuguer « éthique de responsabilité » (et il a su le faire, notamment en matière économique) et « éthique de conviction » (et il avait, en même temps lui, le souci du social au cœur). Peut-être son choix de 1995 était il d’abord éthique, au sens où il ne se sentait pas capable de vivre les dilemmes auxquels peut être confronté un Président de la République.
Paris, Croulebarbe, le 28 décembre 2023
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