Pendant trois jours par an, la capitale des Gaules est aussi la capitale de l’économie, et même la capitale mondiale, puisqu’on croisait aux Jéco des prix Nobel, comme Joseph Stiglitz. C’est dans le off des Jéco que, depuis dix ans, l’Idies tient ses rencontres annuelles, cette année conscrée à la qualité du débat sur les traités internationaux de commerce.
Créé en 2008, l’Institut pour le développement de l’information économique et sociale (Idies) s’est en effet donné comme objectif de favoriser le débat démocratique sur les politiques économiques, et sociales, et environnementales (il faudrait d’ailleurs que nous pensions à ajouter un « e » à l’acronyme) en analysant l’information dont disposent les citoyens pour participer à ces débats. Le parti prix de l’Idies, c’est que le débat sur ces questions ne doit pas être confisqué par les experts, mais que l’exercice de la citoyenneté nécessite, dans ces domaines comme dans les autres, que chacun.e dispose des informations nécessaires pour se former une opinion, que ce soit dans la qualité des données et des informations, dans l’enseignement, dans le traitement par les médias ou dans l’appropriation par les parties prenantes. Cette année, c’était ces quatre champs qui étaient interrogés de façon critique et pluraliste, sur la question du commerce international, à partir du rapport 2019, rédigé par Julien Hallak, en partenariat avec l’Institut Veblen et intitulé « Accords internationaux de commerce : le débat est-il à la hauteur des enjeux ? »
Sur la scène internationale des échanges commerciaux, on est passé du western classique au western crépusculaire. Dans sa version classique, et même néo-classique, le commerce international est bon par nature : c’est la théorie de l’économiste David Ricardo, et de ses successeurs, dite des « avantages comparatifs » : il vaut mieux échanger, y compris entre nations inégales, car chaque pays, même si il est moins bon que tous les autres dans tous les domaines, l’est un peu moins dans certains que dans d’autres et se spécialisera dans ces domaines où il est le moins mal placé. Contre-intuitive, cette idée est à l’origine du préjugé de la plupart des économistes en faveur du libre échange : comme dans le western classique le bon « libre échangiste » finit toujours par l’emporter contre le méchant « protectionniste ». Le passage du Gatt à l’OMC a marqué l’apogée de ce western classique, et il est incontestable que la libéralisation des échanges à l’échelle mondiale a accompagné le développement de nombres de pays considérés comme sous-développés dans les années soixante-dix, en Asie ou en Amérique latine.
Cette foi dans le libre-échange est aujourd’hui contestée, mais si l’on est sorti du dualisme, la situation n’en est pas forcément meilleure. On est passé, d’une certaine façon, du western classique au western crépusculaire : au bon, et au méchant, on a ajouté la brute et le truand, dont Donald Trump constitue la figure médiatiquement emblématique, assumant à la fois le cynisme quant aux objectifs poursuivis, le rapport de force dans les négociations, le retour de la politique et même de la diplomatie secrète dans les négociations. Et les africains restent les peones de ce nouveau western, sans avoir les moyens de se payer les sept mercenaires qui les protégeraient de la prédation de leurs ressources naturelles. Telle Hollywood, l’OMC est passée au second plan, au profit de d’accords partiels, comme, pour l’Union européenne, le CETA avec le Canada ou l’accord avec le Mercosur.
La même scène archétypale se reproduit aujourd’hui sur ces scènes virtuelles que sont les modèles économiques. Ainsi le parlement français a demandé au Cepii d’évaluer les effets du Ceta. Mais les modèles utilisés reposent sur l’idée que les barrières aux échanges ont des effets négatifs sur la production et donc la croissance et s’évertuent donc à calculer des équivalents tarifaires de ce que les analystes qualifient de « barrières non-tarifaires », c’est à dire principalement les normes de production qui ont, le plus souvent des motivations environnementales, et, dans une moindre mesure, sociales. Difficile d’ailleurs pour ces modèles de simuler les impacts sociaux et environnementaux, qui restent dans la pénombre de cette scène virtuelle. Pour autant, les impacts calculés sur la croissance et sur l’emploi apparaissent tout à fait marginaux, de l’ordre des incertitudes de mesure. Pas de quoi apporter un argument décisif pour arbitrer ou non en faveur de la ratification, même si l’avantage des modèles est de mettre la focale sur les effets potentiels de ces accords. L’existence d’éclairages contradictoires de la part des experts n’est pas forcément , dans la mesure où ils montrent que, la plupart du temps, les arbitrages sont plus politiques qu’économiques, notamment dans les conséquences sociales ou environnementales de ces accords.
Un débat démocratique en quête d’acteurs
Mais il faut dire que la question du commerce internationale est peu favorable à la délibération démocratique, y compris en Europe. D’abord, c’est un domaine dans lequel délégation a été donnée aux instances européennes par les états membres, et donc à la commission qui négocie pour le compte de l’ensemble de l’Union. Avantage que vont perdre les sujets de sa gracieuse majesté qui ne bénéficieront plus du poids économique européen dans la négociation, et dont le gouvernement va être obligé de reprendre à son compte toutes ces négociations après le Brexit. Avantage donc, mais aussi risque d’une dérive technocratique avec une difficulté pour les parlements nationaux qui n’interviennent qu’en bout de course, au moment de la ratificasion, et qui n’ont alors d’autre choix que de ratifier ou de rejeter, comme on l’a vu pour le Ceta. Le parlement européen ne rééquilibre pas non plus dans la mesure où il n’intervient qu’à la marge dans la définition du mandat de négociation, principalement fixé par les États.
Pour compenser cette panne démocratique, un acteur émerge, la société civile, ou plutôt les organisation dont elle s’est dotée, les syndicats comme les ONG, qui ont développé une expertise propres, et souvent différente de celle des politiques ou des experts patentés. Ainsi ce sont principalement des ONG comme Green Peace ou l’UFC qui ont révélé que le Ceta allait autoriser l’importantion de viandes d’animaux nourris avec des farines animales, alors que celles-ci sont interdites en Europe depuis la crise de la vache folle, ce qui avait manifestement échappé au ministère de l’agriculture.
Témoigne de ce rôle croissant de l’expertise non gouvernementale « les 37 propositions pour réformer la politique commerciale européenne » et la mettre au service de la transition écologique et sociale, présentées par la Fondation Nicolas Hulot et l »Institut Veblen, et qui cherche à trouver un chemin « entre un libre-échange débridé et un protectionnisme idiot ». 37 propositions réalistes et fortement argumentées, qui reposent sur un projet de nouvelle organisation mondiale du commerce totalement intégrée dans le système des Nations Unis, et qui mettrait le commerce internationale au service des objectifs de développement durable.
Lyon, Paris, 6-11 novembre 2019
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