Dans son numéro du 2 mai consacré à l’Europe, Témoignage Chrétien a repris dans une version abrégée le papier publié ici sous le titre « De l’Europe sociale à l’Union sociale (suite, 3) ». Histoire d’éclairer d’une campagne européenne qui peine à démarrer,
Les chantiers du social
Après les dix années de glaciation Barroso, on avait espéré de la Commission Junker une relance de l’Europe sociale grâce à son projet de socle européen des droits sociaux. Las, celui-ci n’est resté qu’un texte de principe, sans valeur juridique.
Soyons justes, le bilan n’est pas totalement nul, et quelques directives significatives ont été adoptées : celle sur les travailleurs détachés, celle sur « les conditions de travail transparentes et prévisibles » (sic), pour les travailleurs des plateformes de services, ou celle sur le congé de paternité et parental.
Mais on est loin du compte et on cherchera en vain dans les discours de ceux qui briguent nos suffrages des références à cette Europe sociale supposée développer la citoyenneté européenne. Or, il y a un rapport subtil entre sentiment d’appartenance à une communauté et solidarité en son sein, chacun alimentant l’autre. Et la solidarité au sein de l’Europe ne peut se limiter à ces « solidarités de fait » qui résultent de l’intégration par le marché mais sont vécues comme des solidarités contraintes et non choisies.
Pour cela, il faudrait faire de l’Union européenne, qui n’est aujourd’hui qu’une union économique, une union également sociale (et d’ailleurs environnementale). Cela peut sembler irréaliste mais cela ne l’est pas plus que de faire un marché unique, ou une monnaie unique. Et c’est indispensable, car le tabouret européen ne repose aujourd’hui que sur le seul pied économique, et des propositions réalistes pour le rééquilibrer ne sont pas hors de portée.
Le premier pied à ajouter, ou à redresser, c’est celui de la libre circulation des personnes. Elle doit aussi s’étendre aux réfugiés, comme aux immigrés, ce qui était l’enjeu des accords de Schengen, mais suppose une réelle politique commune. L’immigration est une chance pour une Europe désormais zone de basse pression démographique, à condition qu’on évite tant la peur que la naïveté et qu’on sache la gérer ensemble : on voit bien où l’absence de solidarité européenne a conduit l’Italie. Cette option, incompatible avec la fixation de quotas par pays, nécessite au contraire une totale communautarisation de la politique migratoire entre les pays qui le souhaitent.
Le second fondement de ce volet social, c’est la lutte contre le « dumping social » et le « dumping fiscal ». C’est l’un des enjeux essentiels de l’Europe que de lutter en permanence contre ces risques de moins-disant social et de mieux-disant fiscal, mais cela suppose une réactivité beaucoup plus forte dès que des risques sont identifiés, comme celui des travailleurs détachés. Cela vaut aussi à l’autre bout de l’échelle des revenus en luttant contre la surenchère fiscale, qui les tire vers le haut et constitue de ce fait un puissant facteur de déstructuration des sociétés européennes. Il faudrait pour cela mettre en place un « serpent social » (à l’image du « serpent monétaire ») qui encadre l’échelle des revenus, en bas (c’est l’idée d’un Smic ou d’un revenu minimum européen) et en haut, par une harmonisation des fiscalités. Surtout, cette protection contre le dumping social (et environnemental) devrait se faire aux frontières de l’Europe, de façon à éviter une concurrence déloyale sur les conditions de production dans les pays d’origine.
Le troisième axe, c’est celui de la réforme nécessaire de l’État providence, pour l’adapter au contexte du XXIe siècle en combinant notamment protection sociale et environnementale. La conception de nouveaux mécanismes de protection offre une opportunité de dépasser la difficulté qu’il y a historiquement à faire converger des États providence nationaux aux constructions trop spécifiques, en s’y essayant sur des sujets nouveaux pour eux, comme, par exemple, le développement de la parentalité et l’accueil des enfants, la lutte contre la pauvreté, ou encore le développement de prestations d’accompagnement de la transition environnementale, et ce dans une logique d’investissement social.
Paris, le 2 mai 2019
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