Le sept novembre, soit plus de trois semaines après la décapitation de Samuel Paty, et une semaine après les assassinat de Nice, à l’occasion de l’hommage national aux trois victimes, les évêques se sont fendus, sous le titre de « Pas de vraie liberté sans respect et sans fraternité », d’une « interpellation ». Soit. On ne peut qu’adhérer aux deux principes que sont la fraternité, l’une des trois valeurs de la République et le respect (des croyances), visé aussi dans l’article 1 de notre Constitution.
Mais pourquoi les évêques ne se sont-ils pas limités à rappeler la déclaration conjointe du pape François avec l’Imam de la mosquée Al Azhar, évoquée dans son encyclique sur la fraternité « Le Grand Imam Ahmad Al-Tayyeb et moi-même avons déclaré fermement que les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang. » (Fratelli Tutti, octobre 2020) et se sont-ils sentis obligés d’interpeler non seulement les catholiques, mais aussi l’ensemble de leurs compatriotes et les pouvoirs publics eux-mêmes, sur l’application de ces deux principes à la liberté d’expression ?
- D’abord, qu’on le veuille ou non, c’est une façon de faire porter la responsabilité des assassinats sur les caricatures, donc sur Charlie qui les a publié, et sur Samuel Paty qui les a utilisé dans son cours. C’est ce que veut faire accroire la propagande de l’autoproclamé État islamique, mais que l’on sache, les caricatures n’étaient pas exposées telles des icônes dans la basilique de Nice et l’Autriche, qui punit le blasphème, n’a pas été épargnée non plus par les attentats.
- En lisant que « les croyants, comme tous les citoyens, peuvent être blessés par des injures, des railleries et aussi par des caricatures offensantes », on se demande si les évêques ne plaident pas d’abord pour leur paroisse, autant que pour les musulmans, dont beaucoup acceptent les caricatures. Il faut dire que l’Église catholique a souvent été l’objet dans Charlie de caricatures plus obscènes que celles de Mahomet, dont il faut d’ailleurs rappeler que le principal reproche qui leur est fait par les islamistes n’est pas leur caractère offensant, mais le fait même qu’elles représentent le prophète. J’avais préféré la réaction de la revue Jésuite « Études », qui, par solidarité avec Charlie avait publié en 2015 sur son site les caricatures de Charlie sur les catholiques, mais a du les retirer moins d’une semaine après sous les pressions exercées par les milieux bien-pensants. Initiative qui a été reprise récemment par des protestants sur les réseaux sociaux en appelant chacun à publier des caricatures de sa propre religion.
- On aurait aimé que les évêques aient des paroles aussi fortes vis à vis des catholiques qui veulent absolument célébrer la messe en période de confinement : prendre le risque de participer par leur célébration à la circulation du virus, comme l’avaient fait au début de l’épidémie les évangélistes à Mulhouse, est-ce une attitude fraternelle et respectueuse à l’égard de leurs concitoyens pour ces paroissiens en manque d’hosties ? Le président du CFCM a appelé, lui, à la fermeture des mosquées pour la prière du vendredi.
- Enfin, même s’ils se défendent de vouloir qu’on légifère sur le sujet, en les voyant appeler les pouvoirs publics à engager « cette réflexion urgente », on ne peut s’empêcher de penser qu’ils ne verraient pas d’un mauvais œil la réintroduction de la notion de blasphème dans notre droit. Car contrairement à ce que laisse entendre la déclaration des évêques, la liberté d’expression n’est pas sans limites, et sont notamment prohibées les injures et les appels à la haine contre une population ou une communauté, comme l’est le racisme et l’antisémitisme : en d’autres termes on n’a pas le droit d’attaquer les croyants, mais l’on peut, au pays de Rabelais, de Molière et de Voltaire, railler leurs croyances, ou leur foi. Et aussi, ce que peut-être les évêques supportent mal, les comportements des religieux, comme ceux des hommes de pouvoirs. Les caricatures les plus intolérables des religions ne sont-ce pas finalement ces actes violents que certains commettent en leur nom ou sous leur couvert, plutôt que des dessins qui n’ont finalement jamais tué ou violé personne ?
Paris, Croulebarbe, le 15 novembre 2020
Addendum :
D’aucun de mes amis, chrétiens sans doute, catholiques sûrement, ont trouvé que mon papier « manquait de nuance ».
- C’est vrai que j’ai surement du mal à avoir le sens de la nuance quand il s’agit de condamner clairement le fait de décapiter un enseignant au nom du manque de respect envers une religion quelle qu’elle soit, comme d’ailleurs de crucifier un obscur prédicateur galiléen il y a deux mille ans.
- A cet égard, comme chrétien, ce que, même agnostique, je reste, j’ai du mal à comprendre la déclaration des évêques et leur tentative insidieuse de rétablir une forme de blasphème au nom du respect dû aux religions, en oubliant que Jésus a justement été condamné à mort par le sanhédrin pour blasphème. Caïphe, le grand prêtre de Jérusalem, a visiblement eu le sentiment que le fils de l’homme ne respectait pas non plus l’idée qu’il se faisait lui de YHWH : « Alors le Grand Prêtre déchira ses tuniques et dit : »Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Vous avez entendu le blasphème, que vous en semble” ? Tous prononcèrent qu’il était passible de mort. Et quelques-uns se mirent à lui cracher au visage, à le gifler et à lui dire : » Fais le prophète ! » Et les valets le bourrèrent de coups ». (Marc 14 : 63-65)
Paris-Saint Étienne, le 14 décembre 2020
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