« Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible. »
(Camus, « L’été », extrait du « Retour à Tipasa », 1952)
Invictus
Le beau film de Clint Eastwood qui porte ce titre a fait connaître au monde entier ce poème d’inspiration stoïcienne de William Ernest Henley et qui a inspiré Nelson Mandela pendant ses 27 années de réclusion.
Invictus, Nelson Mandela. Non seulement il n’a pas été vaincu par le bagne, mais il a été victorieux, non de ses ennemis, mais de l’apartheid que le régime raciste de Pretoria avait mis en place en Afrique du sud. La justice est passée, en évitant, autant que possible, la vengeance : la commission « Vérité et réconciliation » a été mise en place dès 1995 (soit quatre ans après l’abolition de l’apartheid, et moins d’un an après l’élection à la présidence de Madiba), alors qu’il nous a fallu attendre le rapport Stora, près de soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, pour envisager de mettre en place, non plus sur le terrain de la justice, mais sur celui de l’histoire, une commission « Mémoire et vérité ». Que n’avons nous eu à l’époque un lointain héritier de l’émir Abdelkader et disciple de Camus, pour nous aider à soigner ces plaies qui saignent encore.
Invictus comme nous espérons l’être de ce virus, comme William Hennley de l’amputation de son pied quand il rédigea ce poème. Invaincus malgré les amputations, les proches disparus, les pauvretés accrues, les solitudes aggravées, la dépression ambiante, mais ayant retenu les innombrables leçons de cette crise inédite ; inédite non pas tant dans sa dimension pandémique que nous avions oubliée, mais dans sa gestion tâtonnante face à l’imprévisibilité des choses et pourtant éclairée des connaissances et des techniques dont l’humanité a su se doter.
Invictus, comme nous voulons l’être de tous ces virus métaphoriques qui infectent nos démocraties, ces poisons qui sous couvert de remèdes intoxiquent nos sociétés et dont les États-Unis viennent de nous donner une leçon de choses dramatique qui a failli tourner au tragique.Virus, tous les mensonges, vérités alternatives, fausses vérités ou vrais mensonges, qui alimentent les thèses négationnistes ou complotistes. Infection, cette hystérisation des débats, quand la dispute démocratique se dégrade en polémique, quand l’anathème se substitue à l’argumentation, quand le visage hideux de la foule haineuse remplace celui du peuple souverain, quand la désignation du bouc émissaire prend la place de la recherche laborieuse des causes et des solutions.
Invictus. Invaincu.e.s, toutes celles, tous ceux, que la parole libère des non-dits mutilants, et qui ont été soumis.es à ces violences sexuelles, pédophiles, incestueuses, quand l’autorité du patron, du parent, du prêtre, de l’éducateur se pervertit en domination sur la sexualité, sur les corps, sur les esprits.
Invictus, en nous protégeant aussi de l’effet de balancier d’un politiquement correct, d’un nouvel ordre moral ou religieux, qui transformerait en blasphème toute expression ressentie blessante, d’une novlangue qui ferait la chasse à toute expression ambivalente, de cette « cancel culture », culture de la dénonciation, du lynchage et de l’excommunication amplifiée par les réseaux sociaux, cette tentation iconoclaste, illusoire et totalitaire d’effacer de nos mémoires, de nos vocabulaires, de nos figurations, cette ésopienne et irréductible ambiguïté des langages et des actes humains.
Invictus, comme cette lumière d’espoir que nous célébrons comme un signe d’espoir au cœur de l’hiver et sous le signe de laquelle nous avons mis comme l’année dernière notre séminaire annuel sur la quête de l’esperluette. Cette lumière intérieure, ce soleil irradiant que nous appelons spiritualité et dont il nous faut faire grandir la liberté dans nos cœurs et ceux de nos enfants, pour nous vacciner contre tous ces virus qui menacent notre humanité commune.
Lille-Paris, 18-23 janvier 2021
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