Le 11 janvier 2015, dans un grand élan de solidarité républicaine, la revue jésuite « Les Études » publiait sur son site certaines des couvertures satiriques de Charlie hebdo qui avaient caricaturé l’église catholique, en précisant n’avoir pas choisi les plus choquantes. Las, face à la réaction d’une partie de l’opinion catholique et, peut-être, de sa hiérarchie, elle les retirait moins d’une semaine après.
Cinq ans après, le tweet vengeur de Mila contre de jeunes harceleurs musulmans l’attaquant pour son homosexualité n’a fait que mettre en mots en l’appliquant à l’islam les caricatures que la revue Études n’avait osé publier, dans un langage que d’aucuns ont qualifié d’ordurier mais que n’aurait probablement reniè ni Rabelais ni Brassens.
On peut, bien sûr, ne pas apprécier ces propos sur une religion, soit qu’elle heurte nos conceptions de l’esthétique, soit qu’elle heurte nos propres convictions. Mais on ne peut excuser le déferlement de haine, de violence, et de menaces dont la jeune femme a fait l’objet sur les réseaux sociaux, au motif que « qui sème le vent récolte la tempête », comme l’a déclaré le délégué général du CFCM, ou que « l’insulte à la religion est évidemment une atteinte à la liberté de conscience », comme l’a affirmé Nicole Belloubet.
La remarque d’Abdallah Zekri n’est pas sans rappeler le « ils l’ont bien cherché » qui avait suivi l’attentat contre Charlie hebdo dans certaines salles de cours. Et la ministre de la justice n’avait à l’évidence pas connaissance de la jurisprudence sur ces sujets, ce qui l’a d’ailleurs conduit, en partie, à se rétracter. « En France, société laïque et pluraliste, le respect de toutes les croyances va de pair avec la liberté de critiquer les religions quelles qu’elles soient et avec celle de représenter des sujets ou objets de vénération religieuse ; le blasphème qui outrage la divinité ou la religion, n’y est pas réprimé à la différence de l’injure, dès lors qu’elle constitue une attaque personnelle et directe dirigée contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse. », comme le rappelait en 2007 le jugement du TGI de Paris dans l’affaire des caricatures du prophète dans le même Charlie Hebdo.
Autrement dit la haine contre les musulmans est réprimée, comme cela vient d’être confirmé par la Cour de cassation pour les propos islamophobes tenus par Eric Zemmour, mais pas la critique ou la caricature de leur religion. Et d’ailleurs la procédure « pour incitation à la haine » ouverte contre Mila a été classée sans suite par le parquet.
Point n’est même besoin de revendiquer un « droit au blasphème », dans la mesure où ce « crime imaginaire » n’existe pas dans le droit pénal français, contrairement à de nombreux États, y compris en Europe. C’est d’ailleurs ce qui avait conduit Témoignage Chrétien à demander l’abolition de cette qualification pénale dans le droit international après l’affaire Asia Bibi.
Mais comme dans celle-ci, ce qui frappe avec l’affaire Mila, c’est l’absence de réaction spontanée de l’opinion laïque de gauche, à l’exception notable du Nouvel Obs. Cela a laissé le terrain libre à un déchainement raciste et islamophobe de l’opinion de droite et d’extrême droite, qui, de Valeurs actuelles à Causeur, de Bruno Retailleau à Marine Le Pen, y a trouvé, une occasion de plus de dorer son très récent blason laïque. Comme la nature pour Aristote, la laïcité a horreur du vide.
Paris, le 31 janvier 2020.
Addendum : #Jesuispasségolène
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