« Entre décroissance et croissance verte, comment repenser la croissance ? » : la rencontre annuelle de l’Idies (Institut pour le développement de l’information économique et sociale), à l’occasion des Jeco (Journées de l’économie) à Lyon, a été l’occasion d’une passionnante expérience de pensée s’inspirant de la démarche de Keynes et à laquelle ont participé Denis Clerc, Florence Jany-Catrice, Aurore Lalucq et Xavier Timbeau. Je ne vais pas tenter ici une synthèse de ces presque 100 minutes de débat que vous pouvez retrouver sur le site des Jeco, mais voudrais juste en tirer quelques pistes de travail pour nos travaux à venir, ceux de l’Idies, mais aussi ceux de nos partenaires.
1. La croissance n’est pas un objectif en soi (pas plus d’ailleurs que la décroissance).
Ce n’était d’ailleurs pas celui que préconisait Keynes, mais le plein emploi et la réduction des injustices sociales ; et ça n’a pas trop mal marché, du moins dans les pays dits « développés » -c’est ce qu’on a appelé « les trente glorieuses »- jusqu’à ce que le tournant néo-libéral de 79-80 remette en cause les principes de la régulation keynésienne, pour un retour aux bons vieux mécanismes du marché.
Parallèlement, il y a eu inversion des objectifs, des finalités, ceux-ci devenant la résultante, éventuelle, d’une croissance ruisselante et riche en emploi. Cela a conduit à une fascination pour cette croissance alimentée, du côté de la consommation, par des envies exacerbées par la publicité et qui sont venues se substituer aux besoins et, du côté de la production, pour un progrès technique endogène qui en apparaît comme le principal moteur ; une croissance, une consommation et un progrès technique qui, compte tenu des dégâts qu’ils génèrent, ne sont plus la solution, mais le problème.
2. Les finalités de l’économie sont une chose trop sérieuse pour être laissées à la loi du marché et doivent faire l’objet de délibérations démocratiques.
Depuis Adam Smith et sa main invisible, les économistes, même hétérodoxes, ont pu constater les vertus des marchés comme moyens de coordination des activités humaines de production et de consommation, et l’expérience du Gosplan n’a pas permis de trouver une alternative efficace à ces dispositifs. Mais la fascination des néo-libéraux pour ce démiurge que constitue le marché va bien au delà de ce constat pragmatique et conduit à en étendre le champ jusqu’à en faire l’ultima ratio de la vie sociale. A tel point que la seule solution qu’ils imaginent à la question environnementale ne peut être que l’intégration dans le « signal prix » des coûts environnementaux, des externalités négatives, sous forme de taxe carbone par exemple pour (dans la tradition française) les plus colbertistes, ou de marché du carbone pour (dans la tradition anglo-saxonne) les plus libéraux.
Bien sûr il ne faut pas exclure a priori ce type de réponse, mais l’épisode des gilets jaunes a montré à quel point on ne pouvait plaquer cette solution unidimensionnelle sur une réalité sociale et environnementale par définition complexe. Avec l’expérience, hélas non suivie d’effet, de la conférence citoyenne pour le climat il a aussi montré l’aspiration à mettre plus de délibération démocratique dans la gestion de ces questions, au risque sinon de lui substituer la guerre de tous contre tous, dont les mécanismes de marché ne sont souvent qu’une des manifestations, même si cette violence est, comme la main du même nom, invisible.
On revient là à l’intuition initiale de l’Idies : il faut se doter d’outil permettant d’étendre la démocratie aux questions économique, sociales, et de plus en plus, environnementales. Dans ce sens, il faudrait remettre à l’honneur l’idée de « planification démocratique » chère à la CFDT des années soixante.
3. Il faut passer d’une sobriété écologique et éthique et à une économie de la sobriété.
L’objectif doit être, non pas la croissance, mais l’utilisation optimale des ressources humaines et naturelles de production, dans le cadre d’une économie politique qui soit, en même temps, une écologie politique, une « économologie » politique en quelque sorte.
Ce qui m’a frappé, c’est que face à cet impératif, un terme est revenu régulièrement et spontanément dans la bouche des quatre intervenants, celui de « sobriété » ; un mot que pour ma part je n’avais pas utilisé dans le cadrage du débat ni dans l’introduction. Non par désaccord, mais parce que le mot sobriété avait pour moi une signification d’abord écologique, sociale, et pour tout dire éthique. Ce dont témoigne, l’ouvrage que vient de publier sur le sujet Le pacte civique, « Le choix des sobriétés » : à cet égard, on lira avec intérêt la conclusion qu’en a tiré Jean-Baptiste de Foucauld, ancien commissaire au Plan et qui à ce titre ne méconnait pas la dimension économique de l’action publique mais dont le seul propos économique est renvoyé dans une annexe, par ailleurs fort intéressante, proposant de remplacer la taxe carbone par une carte carbone.
Je ne suis pas sûr qu’il faille ériger la sobriété en valeur de la République (comme le sont la liberté, l’égalité et la fraternité) ainsi que le propose Jean-Baptiste, mais j’ai déduit de nos échanges aux Jeco qu’il fallait aussi lui donner un contenu économique, et faire ainsi de la sobriété une alternative à la croissance : car elle ne signifie pas stagnation, et encore moins décroissance, ce qui est probablement anthropologiquement une impasse, mais bonne utilisation des moyens de production, ce qui en fait une sorte de synonyme du mot « économie », dans une de ses acceptions au moins (économie de moyens).
Lyon, le 5 novembre – Paris, Croulebarbe, le 9 novembre.
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