Tout n’est pas faux dans le livre « La bataille de la Sécu » de Nicolas Da Silva. Un livre d’ailleurs fort bien documenté. Tout n’est pas faux … sauf la grille d’analyse qui repose sur le mythe de « La sociale », déjà célébré dans le film éponyme de Gilles Perret « La sociale », et à laquelle l’auteur oppose l’Etat social. Une vision mythique qui n’a pas grand chose à voir avec la vérité historique, sauf bien sûr à considérer que dans tout mythe, comme dans toute légende, il y a une part de vérité.
Résultat, la crise de la Sécu, c’est simple : c’est la faute de l’Etat social, complice du capitalisme, et qui a gagné la bataille contre la Sociale, cette Sécu gérée par la classe ouvrière entre 1945 et 1967. Une vision manichéenne qui ne correspond ni à la construction historique, ni à la complexité d’un système de sécurité sociale qui est traversé de fortes tensions mais aussi de compromis, qu’on ne peut lire à la lumière d’une vision à la Boukharine de l’histoire. Le plus significatif c’est la convocation de instrumentalisée de la Commune, dont « la politique sociale (…) est restée comme l’une des plus avant-gardiste de l’histoire », exemple de détournement historique dont ce livre est une illustration : malheureusement la Commune n’a pas eu le temps de développer réellement une vraie politique de sécurité sociale (ce qui n’est pas le cas par exemple de la laïcité, avec la première séparation des Eglises et de l’Etat, 34 ans avant la loi de 1905). Une opposition manichéenne qui n’est en rien en ligne avec le projet porté par le CNR d’une « gestion (de la sécurité sociale) appartenant aux représentants des intéressés et de l’État ».
La construction de l’Etat providence, expression que je préfère à celle d’Etat social, car la Sécurité sociale correspond à une forme de laïcisation de la providence, est le résultat de la sédimentation de plusieurs logiques qui se sont entremêlées, entre l’assurance et l’assistance, entre le caractère facultatif et obligatoire, entre les revendications ouvrières et les résistances patronales, mais aussi entre les initiatives patronales et les contestations ouvrières ; une histoire plus marquée idéologiquement par le solidarisme du radical Léon Bourgeois que par les doctrines guesdistes et les références marxistes.
Surtout, ce livre n’aide pas à penser la crise actuelle de l’Etat-providence, ni surtout son avenir face aux risques émergeants, son universalisation, son poids croissant dans l’économie, etc…
Paris, Croulebarbe, le 4 août 2024.
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