Est-ce la fin annoncée du « quoiqu’il en coûte ? ». Il semble bien, si l’on en juge par le programme de stabilité adopté en conseil des ministres le 14 avril et que le gouvernement s’apprête à communiquer aux instances européennes. Un programme qui annonce une potion budgétaire amère entre 2022 et 2027, pour ramener le déficit public à moins de 3% (2,8%) à l’horizon de cinq ans et ce en pesant sur une dépense publique qui n’augmenterait que de 0,7 % par an en moyenne, soit moitié moins que le niveau de croissance anticipé une fois effacé le recul du PIB lié au Covid.
Tout cela peut paraître un peu théorique et tous comptes faits pas si grave puisque la dépense publique va quand même continuer à augmenter. Regardons de plus prés. 0,7%, c’est moitié moins que l’augmentation des dépenses publiques de la décennie 2010 : les dépenses de l’État (qui n’en représente que 30 %), mais d’abord de la protection sociale qui en représente plus de la moitié (55%), et aussi des collectivités territoriales (15%). Le poste le plus important ce sont donc les prestations sociales, suivi par les rémunérations des agents publics, pour pas loin du quart. On comprend pourquoi le ministre des finances ressort le recul de l’âge de la retraite à taux plein qui a fait capoté le projet de régime universel : c’est la seule façon de diminuer rapidement la part dans le PIB du premier poste de dépenses publiques. On peut anticiper le même traitement pour le deuxième, la santé. Pourtant,avec la crise hospitalière et la difficile gestion de la crise du Covid, on a vu ce qu’a donné la pression exercée sur l’Ondam pour le contenir en moyenne à 2,3 % d’augmentation par an depuis 2010. On imagine ce que va donner le fait de le ramener, compte tenu de la faible inflation, à moins de 2% sur les cinq prochaines années. Autant dire que les espérances soulevées par le Ségur de la santé quant aux effectifs des personnels hospitaliers et la revalorisation de leurs rémunérations risquent d’être rapidement déçues ; de même que l’investissement dans la prévention et dans la préparation des crises sanitaires futures. La protection sociale risque d’autant plus de payer le plus gros tribut à cette politique de rigueur que, s’il n’est pas prévu de rembourser tout de suite la dette Covid de l’État, celle de la Sécu (à terme au moins 130 Mds €) a été transférée à une Cades prolongée jusqu’en 2033 et commence donc à être amortie . Exit au passage le projet d’utiliser la contribution pour le remboursement de la dette sociale qui l’alimente (CRDS) pour financer la prise en charge de la dépendance des personnes âgées, notamment l’amélioration de la situation dans les Ehpad dont on a pourtant vu avec l’épidémie à quel point elle était urgente.
Mais ce qui est vrai de de la sécu l’est aussi des autres services publics, comme des effectifs et de la rémunération des enseignants, dont le projet de réforme des retraites avait en évidence le niveau anormalement faible, ou des chercheurs, ou encore des policiers qui continueront à subir de mauvaises conditions de travail, sans parler des gardiens de prisons surpeuplées dans lesquelles on n’aura guère le moyen d’investir, au moment où l’on veut les vider moins vite. Cette politique de rigueur aura d’ailleurs un impact négatif sur l’investissement public, notamment l’investissement dans la transition environnementale, que ne compensera que très progressivement le plan de relace européen.
Bien sûr on dira que Bruno Lemaire n’a fait là que siffler la fin du rêve de l’argent magique et le retour à la dure réalité des finances publiques soumises à la loi d’airain de l’équilibre budgétaire et ceux qui pensaient que la crise du covid avait converti l’exécutif au keynésianisme en seront pour leurs frais. En même temps, un tel effort de ralentissement de la croissance des dépenses publics, risque d’avoir un effet négatif sur la croissance. Surtout, sans jouer les aventuriers de la relance perdue, un autre cocktail (ce que les économistes appellent un policy mix) est possible, qui permettrait d’éviter une potion aussi amère.
D’abord de sortir du dogme « pas d’impôts supplémentaires », à court terme en demandant un effort de solidarité aux plus riches, et en acceptant, plus généralement, d’augmenter les prélèvements obligatoires, ce qui sera de toute façon inévitable à plus long terme, dans la mesure où la plupart des besoins couverts par le secteur public, la santé, l’éducation, notamment, sont ce que l’on appelle des biens supérieurs, qui croissent naturellement plus vite que le PIB. Sauf, évidemment à les privatiser, comme le demande les ultra-libéraux, « en restituant au secteur privé tout ce qui peut lui revenir, des assurances maladie, santé et vieillesse aux transports publics, à l’éducation, à l’énergie… ».
Ensuite, en acceptant un niveau de déficit plus élevé et donc d’augmenter la dette. C’était d’autant plus envisageable que l’Union européenne qui a suspendu l’application de la règle des 3% il y a un an, ne l’a pas pour l’instant rétablie, et que les taux d’intérêt sont durablement négatifs, ce qui fait que l’augmentation de la dette ne pèse pas sur les finances publiques. En acceptant aussi un peu d’inflation, ce qui a l’avantage de diminuer encore plus la charge de la dette,
Enfin en utilisant davantage les possibilités de financement monétaire, compte tenu de l’absence de réel risque inflationniste. Ce qui suppose, pour le coup, une politique monétaire européenne qui soit aussi une politique économique.
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