C’est un texte court, un de ces tracts que publie désormais Gallimard, mais qui résonne comme un programme de travail, ou plus exactement comme une suite d’intuitions développées, et à continuer à développer, dans le cadre de la chaire « humanités & santé » que Cynthia Fleury anime à l’APHP et au Cnam.
La première intuition, presqu’un postulat, et c’est celle du titre lui même, « le soin est un humanisme« , c’est que « l’existence précède l’essence » ; par parallélisme on est tenté de dire que le soin précède la médecine. Le soin manifestation de cette « exceptionnalité de l’homme », cette « fiction régulatrice » (comme l’est le « contrat social » de Rousseau), qui n’a pas existée, puisqu’on sait maintenant la grande continuité entre l’animal et l’homme, mais qui est au fondement de l’éthique humaine.
La conjonction des deux termes, « santé » et « humanités », crée ainsi une double obligation, « éthique et épistémologique », interrogeant les fondements scientifiques de la médecine, fondements scientifiques qui alimentent « le leurre » de sa neutralité : « Si la médecine recherche la « vérité » scientifique au sens du meilleur diagnostic possible, il n’en demeure pas moins qu’elle n’est pas assimilable à une pure recherche mathématique ou laborantine qui peut fonctionner de façon abstraite, sans se soucier de son impact sur les personnes ». Car la médecine n’est pas une science, elle n’a pas pour finalité la connaissance mais bien le soin, et sa « vérité » échappe en partie à la rationalité scientifique, ce qui mériterait d’autres développements, comme j’ai pu le faire ici sur l’homéopathie.
Et il s’agit de soigner non des maladies (concept flou au demeurant), mais des malades : « Là encore, il convient de se remémorer cette vérité première qu’il n’y a pas de maladie mais seulement des sujets qui tombent malades et que la reconnaissance de cette subjectivité est la seule opérationnelle pour la production d’un soin ». Des sujets, je préfère pour ma part dire des personnes, dont la vulnérabilité, caractéristique de l’humain, se traduit dans une maladie : « La vulnérabilité est une vérité de la condition humaine, partagée par tous, et pas uniquement par ceux qui font l’expérience plus spécifique de la maladie ».
La médicalisation du soin, rapport social asymétrique par construction, et la technicisation de la médecine ont conduit à son appropriation exclusive par une « caste de soignants » s’adressant à des soignés passifs, qu’il s’agit désormais de rendre actifs : « Le soin est une fonction en partage, relevant de l’alliance dialectique, créative, des soignants et des soignés, qui, ensemble, font éclore une dynamique singulière, notamment tissée grâce à la spécificités des sujets qu’ils sont ». Car l’enjeu est bien, dans une perspective de développement des « capabilités », au sens d’Amartya Sen, de « rendre capacitaires les individus », de développer les capacités de la personne, y compris quand elle est malade (et j’ajouterai volontiers, handicapée, d’autant que la prévalence croissante des maladies chroniques atténue la frontière déjà ténue entre maladie et handicap).
D’où l’émergence du patient expert : Plus qu’un partenaire, le patient doit être un patient expert, un patient compétent, entouré d’une sphère médicale qui va l’accompagner de manière humaine. Reconnaitre cette expertise du patient nécessite pour les soignants de développer une éthique de l’écoute, à rebours des attitudes habituelle : « Écouter la parole des patients, c’est très vite prendre conscience que toute tentative de désindividualisation prend appui sur la déverbalisation ». Ce qui conduit Cynthia Fleury à proposer de lutter contre le nosocomial « psychique », quand les attitudes des soignants sont source de pathologie, tout autant que contre le nosocomial « physique ». L’éthique n’a de sens, c’est son étymologie même, que si elle influe les comportements : « La sollicitude, la prudence, la prud’homie, la résilience, la réflexion éthique … ne sont pas des suppléments d’âme mais des facultés humaines, comportementales, psychiques et psychosociales à développer chez les soignants pour leur permettre d’être plus efficaces dans le soin des patients ».
Une suite d’intuitions, qui s’appuient non sur des idées descendues du ciel, mais sur une connaissance de la réalité : d’où un vibrant plaidoyer pour une revalorisation de l’enquête, comme moyen de connaitre le réel, mais aussi comme condition de la démocratie, et donc d’une éthique délibérative : « Il faut entendre ce terme d’enquête au sens large, celui de l’investigation journalistique et scientifique, la manière dont nous créons des méthodologies et des protocoles validés pour faire émerger de la connaissance et affaiblir la désinformation dans laquelle nous baignons ».
Paris, le 6 août 2019.
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